mercredi 20 janvier 2016

Paroles de minorités entre deux mondes



Indravati Félicité, Réunionnaise, est professeur d’histoire des pays germaniques et de littérature et Alex J. URI, Guadeloupéen, est  rédacteur en chef à France Télévisions, ancien envoyé spécial permanent auprès de l’Union européenne.  Ils ont échangé sur le thème «  le monde et nous » à travers les prismes de l’Europe et l’Amérique. Selon eux, «  les forces obscures » du racisme qui se réveillent  sont de nature à cristalliser les relations sociales malgré la reconnaissance du multiculturalisme.  Les bavures policières contre les minorités afro-américaines aux Etats Unis ont  été ressenties partout où le passé esclavagiste avait semé injustice  et discrimination. Choc des brutalités  mais aussi le choc des points de vue qui remettent en cause la diversité, la coexistence de minorités dans un contexte où la sécurité est omniprésente. Regards croisés  avec lucidité et  sérénité

        Paroles de minorités entre deux mondes






Q-Alex J. URI. après les brutalités policières contre les Afro-Américains. de nouveaux auteurs noirs américains parlent aujourd’hui de la question raciale, de la diversité et du multiculturalisme de manière moins apaisée que leurs aînés Parmi ces écrivains, il y a  Ta-Nehisi Coates, journaliste à The Atlantic dont le livre   « Between the World and Me » ( Le monde et moi) chez Spiegel and Crau  176 pages  semble avoir  retenu votre attention. Vous dites que vous avez baigné dans cette problématique depuis votre enfance.
R-Indravati Félicité. Oui parce qu’à la Réunion, la question de  la diversité, de la différence mais  aussi des discriminations qui en découlent,  se pose historiquement. Elle se posait encore quand j’étais enfant, même si la situation était moins grave, moins difficile pour notre génération que  pour nos parents,  nos grands-parents, nos ancêtres. Cette question  était omniprésente dans notre vie quotidienne y compris dans nos  discussions familiales. Je me suis toujours demandée si cette question se posait de la même manière aux Antilles, en Afrique ou en Amérique qui était notre horizon le plus lointain.
Q-Alex J. URI.et donc l’horizon le plus proche c’était l’Afrique du Sud ?
R-Indravati Félicité C’était l’Afrique du Sud effectivement ! Dans la famille, nous portions des T-shirts « Mandela Free», nous  boycottions le jus d’orange produit en Afrique du Sud et nous avons  fêté la libération de Mandela comme  un événement réunionnais. Nous  avions conscience  d’une fraternité universelle autour de ces questions. C’était une des thématiques qui nous liait à tous les peuples noirs du monde. Nous nous sentions noirs.
Q-Alex J. URI Qu’en est-il  des attentes suscitées par la présidence d’OBAMA ? Ne pensez-vous que  cette question de la diversité, que les droits acquis par les Noirs et par les minorités sont grignotés, voire remis en cause, qu’on est en train de revenir en arrière?

-Indravati Félicité- J’ai l’impression que l’élection d’OBAMA a réveillé les forces obscures  qui s’étaient calmées au cours des dernières décennies parce qu’on avait banalisé la question noire d’une certaine manière, autour d’un politiquement correct qui  n’avait finalement pas d’expression concrète. Et Le fait qu’un Noir ait réussi à  accéder aux plus hautes fonctions,  a ravivé le racisme et la violence dans la société américaine. Cela me rappelle un peu  la haine que suscite  Christiane Taubira,  notre ministre de la justice en France. Vous avez  effectivement raison, cette  résurgence de la brutalité montre  que la question n’était pas réglée malgré le chemin parcouru grâce à des figures exemplaires  dont vous faites partie pour notre génération, pour que nous n’ayons pas besoin de nous   battre contre  ce racisme  basique, primaire. Aujourd’hui ce racisme  existe sous des formes plus sournoises mais tout aussi brutales.
Q-Alex J. URI. Pensez-vous que ce sont les minorités qui vont faire la décision quant à l’élection du prochain président de la République. Selon vous, les minorités vont-elles jouer un rôle important dans la société française ?
R-Indravati Félicité. Je pense qu’elles jouent déjà un rôle important même si elles sont considérées  avant tout comme un réservoir de voix  sur un marché électoral. Il ne faudrait pas que les minorités se cantonnent à  cette fonction là. Sans vouloir donner de leçon car je ne participe pas à cette vie politique  même si je trouve très courageux de s’engager, je pense qu’en tant que minorités, nous avons intérêt à développer une nouvelle manière d’intervenir dans le débat et ne pas se laisser enfermer  dans des catégories ou dans des modèles  qui peut-être ont fait leur preuves pour les générations précédentes mais qui ne sont plus les nôtres.
Q-Alex J. URI. Il y a eu des tentatives de fédérer les voix des minorités, y compris les voix d’Outre-mer.  Des circonstances particulières dues à un affaiblissement,  à une frilosité, à une peur face à un danger extérieur ne viennent-elle pas compliquer la situation des minorités ?
R-Indravati Félicité. Tout à fait. On est en porte à faux. On est  pris entre deux feux  parce qu’une partie de la société et même de  la classe politique exige un positionnement clair des minorités, qui nous empêche de réfléchir et  de prendre une   distance  pourtant  nécessaire. Dans le journal Le Monde, Angela Davis, venue faire une leçon inaugurale à la Sorbonne a été interrogée au mois de décembre. Votre confrère lui a demandé sa vision des événements terroristes parce qu’elle-même avait été considérée à une époque comme terroriste. Elle a répondu  qu’il fallait se demander pourquoi une partie de la jeunesse française  s’intéressait à ces questions. Je pense qu’elle est plus libre  de parler de ces questions que nous  mais  il est important de  trouver le moyen d’intervenir dans ce débat sans être soupçonné. C’est très compliqué. Comment expliquer sans pouvoir être soupçonné de vouloir excuser ? C’est très difficile je pense.
Q-Alex J. URI.  Vous qui êtes chargée de superviser les études germaniques  pour des étudiants français, comment voyez l’Allemagne et ses minorités ? Quelle culture, quelle articulation pour ces minorités ?
R-Indravati Félicité. Je pense que l’Allemagne  elle  aussi est  confrontée à des gros problèmes, qui sont différents. Elle est tout aussi désarmée. Dans les années 90-2000, il y a eu un débat sur la notion de  culture dominante. On s’est demandé, pour faciliter l’intégration, s’il fallait  imposer une culture dominante aux populations d’origine étrangère.
Le débat n’a rien donné  donc on s’est rend compte qu’il s’agissait d’une manière stérile d’aborder la question. Au final, s’est imposé  un compromis entre une adhésion des populations nouvelles à la constitution et l’acceptation par les forces conservatrices que l’Allemagne devenait une société multiculturelle. Cette  question resurgit aujourd’hui avec force avec l’accueil d’ 1 million de réfugiés. Le  pays se demande donc si la seule adhésion à la constitution permet d’intégrer une population aussi importante.
 Q-Alex J. URI. Pourquoi va-t-on chercher une enseignante  réunionnaise pour dispenser des cours d’allemand dans une université européenne ? Ce serait peut-être amusant d’expliquer cela.
R-Indravati Félicité. Ah oui ! parce que quand j’apparais  dans les cercles de germanistes, les gens se demandent souvent ce que je fais là. Dans les études germaniques, il y a aussi des black studies… mais quand même ( rire) elles ne sont pas tellement représentées. De par mon histoire, j’ai une affinité avec l’Allemagne puisque mes parents, communistes et très militants, ont fait  une partie de leurs études  en Allemagne de l’Est. L’Allemagne était pour  eux une alternative à la France de l’époque  qui était perçue comme une chape de plomb dans les années 60-70. Pour les territoires d’Outre-mer c’était une période très difficile. Le rapport avec ce qu’on appelle la métropole et que je préfère appeler l’hexagone était plus compliqué. J’ai aussi rencontré mon mari qui était allemand pendant mes études d’histoire  et cela m’a permis de renouer avec le passé familial et faire une partie de mes études en Allemagne. J’ai aussi été attirée par  l’Allemagne parce que je trouvais qu’à l’université  on  abordait des questions qui ne l’étaient en France. C’est en Allemagne que j’ai découvert Frantz Fanon. Mon séjour de deux ans et demi à l’université allemande m’a beaucoup marquée. J’y ai trouvé parce que un regard plus ouvert, une attitude plus différente vis-à-vis de l’histoire de la colonisation, de l’histoire de la guerre d’Algérie. J’ai travaillé aussi des textes d’écrivains français noirs, assez peu étudiés dans les universités françaises. 

                              


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