Indravati Félicité, Réunionnaise, est professeur
d’histoire des pays germaniques et de littérature et Alex J. URI, Guadeloupéen,
est rédacteur en chef à France
Télévisions, ancien envoyé spécial permanent auprès de l’Union européenne. Ils ont échangé sur le thème « le monde
et nous » à travers les prismes de l’Europe et l’Amérique. Selon eux,
« les forces obscures » du racisme qui se réveillent sont de nature à cristalliser les relations
sociales malgré la reconnaissance du multiculturalisme. Les bavures policières contre les minorités
afro-américaines aux Etats Unis ont été
ressenties partout où le passé esclavagiste avait semé injustice et discrimination. Choc des brutalités mais aussi le choc des points de vue qui
remettent en cause la diversité, la coexistence de minorités dans un contexte où
la sécurité est omniprésente. Regards croisés
avec lucidité et sérénité
Paroles de minorités entre deux mondes
Q-Alex J. URI. après les brutalités policières contre les Afro-Américains. de
nouveaux auteurs noirs américains parlent aujourd’hui de la question raciale,
de la diversité et du multiculturalisme de manière moins apaisée que leurs
aînés Parmi ces écrivains, il y a Ta-Nehisi
Coates, journaliste à The Atlantic dont le livre « Between the World and Me » ( Le
monde et moi) chez Spiegel and Crau 176
pages semble avoir retenu votre attention. Vous dites que vous avez
baigné dans cette problématique depuis votre enfance.
R-Indravati Félicité. Oui parce qu’à la
Réunion, la question de la diversité, de
la différence mais aussi des
discriminations qui en découlent, se
pose historiquement. Elle se posait encore quand j’étais enfant, même si la
situation était moins grave, moins difficile pour notre génération que pour nos parents, nos grands-parents, nos ancêtres. Cette
question était omniprésente dans notre
vie quotidienne y compris dans nos discussions familiales. Je me suis toujours
demandée si cette question se posait de la même manière aux Antilles, en
Afrique ou en Amérique qui était notre horizon le plus lointain.
Q-Alex J. URI.et donc l’horizon le plus proche c’était l’Afrique du Sud ?
R-Indravati Félicité C’était l’Afrique du
Sud effectivement ! Dans la famille, nous portions des T-shirts
« Mandela Free», nous
boycottions le jus d’orange produit en Afrique du Sud et nous avons fêté la libération de Mandela comme un événement réunionnais. Nous avions conscience d’une fraternité universelle autour de ces
questions. C’était une des thématiques qui nous liait à tous les peuples noirs
du monde. Nous nous sentions noirs.
Q-Alex J. URI
Qu’en est-il des attentes suscitées par
la présidence d’OBAMA ? Ne pensez-vous que cette question de la diversité, que les droits
acquis par les Noirs et par les minorités sont grignotés, voire remis en
cause, qu’on est en train de revenir en
arrière?
-Indravati Félicité- J’ai
l’impression que l’élection d’OBAMA a réveillé les forces obscures qui s’étaient calmées au cours des dernières
décennies parce qu’on avait banalisé la question noire d’une certaine manière,
autour d’un politiquement correct qui n’avait finalement pas d’expression concrète. Et Le fait qu’un Noir ait réussi à
accéder aux plus hautes fonctions, a ravivé le racisme et la violence dans la
société américaine. Cela me rappelle un peu la haine que suscite Christiane Taubira, notre ministre de la justice en France. Vous
avez effectivement raison, cette résurgence de la brutalité montre que la question n’était pas réglée malgré le
chemin parcouru grâce à des figures exemplaires dont vous faites partie pour notre génération, pour
que nous n’ayons pas besoin de nous battre contre
ce racisme basique, primaire.
Aujourd’hui ce racisme existe sous des
formes plus sournoises mais tout aussi brutales.
Q-Alex J. URI. Pensez-vous que ce sont les minorités qui vont faire la décision quant
à l’élection du prochain président de la République. Selon vous, les minorités
vont-elles jouer un rôle important dans la société française ?
R-Indravati Félicité. Je pense
qu’elles jouent déjà un rôle important même si elles sont considérées avant tout comme un réservoir de voix sur un marché électoral. Il ne faudrait pas
que les minorités se cantonnent à cette
fonction là. Sans vouloir donner de leçon car je ne participe pas à cette vie
politique même si je trouve très
courageux de s’engager, je pense qu’en tant que minorités, nous avons intérêt à
développer une nouvelle manière d’intervenir dans le débat et ne pas se laisser
enfermer dans des catégories ou dans des
modèles qui peut-être ont fait leur
preuves pour les générations précédentes mais qui ne sont plus les nôtres.
Q-Alex J. URI. Il y a eu des tentatives de fédérer les voix des minorités, y compris les voix d’Outre-mer. Des circonstances particulières dues à un affaiblissement, à une frilosité, à une peur face à un danger extérieur ne viennent-elle pas compliquer la situation des minorités ?
Q-Alex J. URI. Il y a eu des tentatives de fédérer les voix des minorités, y compris les voix d’Outre-mer. Des circonstances particulières dues à un affaiblissement, à une frilosité, à une peur face à un danger extérieur ne viennent-elle pas compliquer la situation des minorités ?
R-Indravati Félicité. Tout à fait. On est en porte à faux. On est pris entre deux feux parce qu’une partie de la société et même de la classe politique exige un positionnement
clair des minorités, qui nous empêche de réfléchir et de prendre une distance pourtant nécessaire. Dans le journal Le Monde, Angela Davis, venue faire une
leçon inaugurale à la Sorbonne a été interrogée au mois de décembre. Votre
confrère lui a demandé sa vision des événements terroristes parce qu’elle-même
avait été considérée à une époque comme terroriste. Elle a répondu qu’il fallait se demander pourquoi une partie
de la jeunesse française s’intéressait à ces questions. Je pense qu’elle est plus libre de parler de ces questions que nous mais
il est important de trouver le
moyen d’intervenir dans ce débat sans être soupçonné. C’est très compliqué.
Comment expliquer sans pouvoir être soupçonné de vouloir excuser ? C’est
très difficile je pense.
Q-Alex J. URI.
Vous qui êtes chargée de superviser les études germaniques pour des étudiants français, comment voyez
l’Allemagne et ses minorités ? Quelle culture, quelle articulation pour
ces minorités ?
R-Indravati Félicité. Je pense
que l’Allemagne elle aussi est confrontée à des gros problèmes, qui sont
différents. Elle est tout aussi désarmée. Dans les années 90-2000, il y a eu un
débat sur la notion de culture
dominante. On s’est demandé, pour faciliter l’intégration, s’il fallait imposer une culture dominante aux populations
d’origine étrangère.
Le débat n’a rien donné donc on s’est
rend compte qu’il s’agissait d’une manière stérile d’aborder la question. Au
final, s’est imposé un compromis
entre une adhésion des populations nouvelles à la constitution et l’acceptation
par les forces conservatrices que
l’Allemagne devenait une société multiculturelle. Cette question resurgit aujourd’hui avec force avec
l’accueil d’ 1 million de réfugiés. Le
pays se demande donc si la seule adhésion à la constitution permet
d’intégrer une population aussi importante.
Q-Alex J. URI. Pourquoi va-t-on chercher une enseignante réunionnaise pour dispenser des cours
d’allemand dans une université européenne ? Ce serait peut-être amusant
d’expliquer cela.
R-Indravati Félicité. Ah
oui ! parce que quand j’apparais dans les cercles de germanistes, les gens se
demandent souvent ce que je fais là. Dans les études germaniques, il y a aussi
des black studies… mais quand même ( rire) elles ne sont pas tellement
représentées. De par mon histoire, j’ai une affinité avec l’Allemagne puisque
mes parents, communistes et très militants, ont fait une partie de leurs études en Allemagne de l’Est. L’Allemagne était pour eux une alternative à la France de l’époque qui était perçue comme une chape de plomb dans
les années 60-70. Pour les territoires d’Outre-mer c’était une période très
difficile. Le rapport avec ce qu’on appelle la métropole et que je préfère
appeler l’hexagone était plus compliqué. J’ai aussi rencontré mon mari qui
était allemand pendant mes études d’histoire et cela m’a permis de renouer avec le passé
familial et faire une partie de mes études en Allemagne. J’ai aussi été attirée
par l’Allemagne parce que je trouvais
qu’à l’université on abordait des questions qui ne l’étaient en
France. C’est en Allemagne que j’ai découvert Frantz Fanon. Mon séjour de deux
ans et demi à l’université allemande m’a beaucoup marquée. J’y ai trouvé parce
que un regard plus ouvert, une attitude plus différente vis-à-vis de l’histoire
de la colonisation, de l’histoire de la guerre d’Algérie. J’ai travaillé aussi
des textes d’écrivains français noirs, assez peu étudiés dans les universités
françaises.
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