"Merry Sisal incarne ces êtres humains
qui cherchent une terre d'asile"
Les voyages de Merry
Sisal
1. Alex J. URI Le titre nous interpelle
sur les voyages de Merry Sisal Voyager, c’est partir, c’est découvrir
d’autres lieux, cultures, personnes et c'est aussi sortir de soi… Est-ce le cas de Merry Sisal ?
Gisèle PINEAU .Le tremblement de terre qui a
touché Haïti le 12 janvier 2010 vient bouleverser la vie de cette jeune femme.
Elle est contrainte de quitter son pays, sa terre, ses enfants. Son voyage
n’est pas un voyage d’agrément, il s’agit plutôt d’un périple, d’une odyssée,
d’une fuite en avant. Merry voyage physiquement mais aussi mentalement. Au long
des pages, le lecteur découvre sa vie à Port-au-Prince, son amour pour un
homme-oiseau, ses rêveries. Pour échapper à ses fantômes, aux visions qui la
hantent nuit et jour, son esprit voyage en permanence, ce qui la sauve de la
folie qui pourrait l’étreindre et la faire plier face à la brutalité de la réalité.
Sous une apparence fragile, vulnérable,
Merry est très forte, brave,
intrépide. Si ses voyages sont souvent poignants et tragiques, ils se
veulent également poétiques. Semblables
à la nature dans sa violence et sa beauté, sa tyrannie et sa bienveillance.
2. Alex J. URI .Merry Sisal se trouve
confrontée à des problèmes d’insertion dans une société qui aurait les mêmes
racines que les siennes. De quelle manière s’adapte-t-elle ?
Gisèle PINEAU .A son arrivée à Bonne-Terre
(une île française de la Caraïbe, ancienne colonie…), Merry va retrouver la
communauté haïtienne installée sur place. Bien vite, elle va être embauchée par
un couple de retraités qui vit sur le Morne d’Or, une résidence chic où sont
regroupés des Français nantis. Entre ces deux mondes, Merry va tenter de se
reconstruire, d’accepter sa vie brisée mais cependant épargnée par le séisme. La
population locale est pétrie de préjugés envers les Haïtiens. Les racines
communes semblent oubliées. Le passé glorieux d’Haïti est quasiment effacé des
mémoires. Ne reste que cette xénophobie rampante qui mine les relations entre
les deux peuples.
3. Alex J. URI . Vous faites référence aux problèmes
de l’immigration haïtienne en Guadeloupe. L’Histoire de l’esclavage est commune
aux peuples de la Caraïbe. La fraternité est-elle rompue entre ces
Afro-descendants ?
Gisèle PINEAU .Les habitants de Bonne-Terre
se considèrent dans leur grande majorité comme supérieurs aux Haïtiens.
L’Histoire est méconnue. La plupart vit d’allocations et des subsides de l’Etat
français. La fraternité est précaire, sans cesse menacée. Les Haïtiens sont
accusés de tous les maux et rejetés par une frange de la population de
Bonne-Terre. Ils vivent souvent dans la clandestinité, piaffent devant la
préfecture en espérant une régularisation de leur situation administrative,
sont traqués par les forces de l’ordre et parqués dans des centres de rétention
avant d’être renvoyés en Haïti en 48 heures.
4. Alex J. URI .Quelle est l’histoire de Merry
Sisal, votre héroïne ?
Gisèle PINEAU .Merry incarne pour moi ces
êtres humains qui cherchent une terre d’asile partout sur la terre. Ils fuient
la misère, la guerre, des pays exsangues, des dictatures, des lois perverses,
des persécutions, des catastrophes naturelles... Hommes, femmes et enfants… Ils errent sur la
planète, embarquent dans des bateaux sans la garantie d’arriver à destination,
ils prennent la route sans papiers, ils courent sans souliers, les pieds en
sang… Et ils meurent dans l’indifférence des mondes nantis. A travers le personnage de Merry Sisal, ce
sont toutes ces histoires là que je raconte …
5.
Alex J. URI Dans son désespoir
connaît-elle des moments d’espoir ?
Gisèle PINEAU Oui, je ne veux pas désespérer…
Cela peut paraître naïf, mais j’espère un monde meilleur. Je rêve de paix pour
les êtres humains en souffrance C’est pour ces simples raisons que j’écris des
romans.
Gisèle Pineau est l’auteur notamment de La
Grande Drive des esprits (Grand Prix des lectrices de Elle), Chair piment (prix des Hémisphères
Chantal Lapicque) et Cent vies et des
poussières.
Alex J. URI est rédacteur en chef à la direction de l'information régionale de France Télévisions . Il est l'auteur de Musiques et Musiciens de la Guadeloupe et d'Alexander et Teresa.
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