Mon archipel –mémorial
"J’avais des idées mais je n’avais pas d’argent. Or les idées sans argent notamment dans une société de consommation finissent par devenir des chimères, à moins qu’un mécène ne veuille bien se dévouer.
Il y a des idées qu’on se passe de génération en génération sans pouvoir les réaliser car elles, ces idées là, peuvent déranger les profondeurs de notre âme où les souffrances sont allées s’enterrer. Des souffrances transmises et compactées pour mieux les stocker, pour ne pas en parler, car quelque part, elles nous mettent mal à l’aise en imaginant le calvaire de celles et ceux qui ont survécu pour bâtir une hérédité souvent chargée de paradoxes, armée de résilience mais profondément ancrée dans la liberté.
Je suis l’homme de la porte du Non retour au Bénin où des âmes vidées de leur sang se promènent encore sur le rivage. Je suis aussi l’homme de la rivière du Carbet de Capesterre, Je suis encore l’homme de Calcutta.Je suis allé au ghetto de Harlem. J’ai servi de chair à canon dans les guerres qui ne me concernaient pas et j’ai dû y vendre chèrement ma peau, la noire. Cela fait bien longtemps que je ne vais plus dans les champs de coton ou les champs de canne à sucre. Je porte mon costume dans les gratte-ciel. Je ne dis plus oui "Missié" que je regarde droit dans les yeux. Je parle les langues de tous les anciens colons du monde et je suis même Président des Etats Unis
Dans cet archipel aux belles eaux, chacun de nous est un mémorial ambulant, c’est d’abord cela qu’il convient de retenir. J’ai dit ambulant pour que nous allions vers l’avant , que nous défendions toujours nos espaces de liberté et de dignité, que nous brisions les chaînes qui nous enchaînent au jour le jour comme si le sang avait coulé pour rien dans cet archipel devenu mémorial.
Madame, vous, aux cheveux indisciplinés, quand, moi, afro-indo-caribéen libre et fier de mes ancêtres, je vous dis que « je vous aime profondément » et que vous répondiez, « c’est bien noté », vous avez besoin d’un petit cours d’histoire ! Nous n’avions même pas le droit de nous aimer, le saviez-vous ? Alors, je vous conseille d’aller au Mémorial, sans acte. »
Alex J. URI
Paris le 1 mai 2015
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