dimanche 1 mars 2015

Mémoires d'un rhum vieux


























Mémoires d’un rhum vieux  

Je suis dans l’avion qui me ramène dans mon île natale où la tristesse m’attend. Je vais partager la douleur de la famille que je n’avais pas vue depuis longtemps.

Et pourtant, il m’est difficile de l’avouer mais mon esprit est ailleurs. Il continue de se promener avec le vôtre sur l’esplanade des Invalides. Dans la nuit fraîche, nos pas trouvent leur rythme commun. Nos mains s’effleurent et nos bras commencent à s’enchevêtrer. Nous sommes comme deux arbres à la recherche d’un jardin pour nous poser et  nous enraciner.

Depuis que vous avez  gardé la main sur mon ventre, j’ai l’impression qu’une partie de vous  a même trouvé refuge en moi. Dès que j’ai mis la ceinture de sécurité, j’ai ressenti cette chaleur qui avait  fait disparaître l’autre soir cette douleur  ainsi que  l’angoisse qu’elle provoquait.

Mes réticences  s’étaient évanouies au toucher  velouté de vos doigts massant mes cheveux multiculturels,  apprivoisant mon  bras droit  et mon chemisier en soie, devenu impatient. Je venais de décoller avec vous, serré contre ma poitrine  comme dans l’arrêt du bus et… j’étais sur un nuage avec vous, mon Alexander.

Malgré la veillée mortuaire à laquelle je vais participer, le retour au pays natal   me plongeait dans  l’ivresse. A peine, sortie de l’aéroport, cette chaleur venait m’accueillir et me posséder. Je sentais que ma peau se libérait, se décontractait avec quelques gouttes de sueur qui perlaient mon front. Le souffle de la brise,  me rappelant celui de vos lèvres, me chatouillait le cou. Je suis allé sur les mornes des Grands-Fonds près de l’usine sucrière qui fume encore. Un jus de canne tout frais m’a réveillé les papilles  et après un sandwich à la morue bien pimenté,  j’ai bu d’un trait un petit verre de rhum vieux, plein de mémoires d’esclaves.

Au loin dans la plaine en contrebas, une odeur de vesou parfumait la bananeraie. Dans le silence du crépuscule, des machines gourmandes broyaient des tas de cannes. Quelques vaches, presque immobiles et quelques paysans fatigués faisaient une pause à l’angélus. A quelques encablures de la plantation, je suis allé voir la merveilleuse case en tôle où nous pourrions jeter l’ancre.

Il pleut dans la montagne, c’est l’heure des pleurs avec la famille mais c’est aussi et surtout le moment de souvenirs qui nous rendent immortels. Enfin, je suis allé voir et entendre les vagues qui meurent et que le rivage fait renaître.

Extrait de «  Mémoires d’un rhum vieux »
Les rêveries tropicales d’Alexander by Alex J. URI
Paris  le 1 mars 2015

                



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