dimanche 6 mars 2016

L'averse et le sari







L’averse et le sari







Vous êtes la pluie que j’attendais. L’arbre que je suis a souffert des chaleurs inhabituelles comme si le désert du Sahara se rapprochait de nous  avec des nuages de sable. Mes  vacances, devenues brûlantes avec le changement climatique, me paraissaient  infernales avec la sécheresse rappelant cruellement  votre absence 
Mes branches n’en pouvaient plus de porter  des feuilles   au bord de l’asphyxie par l’odeur  des  sargasses.

Alors j’ai besoin de votre douceur qui rend humide ce qui m’entoure et  qui me touche.
Vous êtes une illusion intense que je croyais avoir perdue. Sur la table, votre main  pressant la mienne vient de la réanimer. La lumière et le soleil vont se coucher à l’horizon qui attend le baiser de la lune.

J’attends votre averse, celle qui  va me secouer pour que je me livre au ciel en délire.

Le sari de la princesse by Alex  J. URI 

Paris le 4 mars 2016


vendredi 19 février 2016

Les voies de l'égalité réelle




Ericka Bareigts , secrétaire d'Etat chargée de l’égalité réelle


Les voies de l’égalité réelle

La députée de La Réunion Ericka Bareigts a  été  nommée Secrétaire d'Etat auprès du Premier ministre, chargée de l'Egalité réelle lors du remaniement ministériel de février du Président François Hollande. Ce portefeuille ministériel intéresse l’ensemble des français et notamment les populations à la recherche d’une une égalité économique entre les Outre-mer et l'Hexagone. Alex J. Uri, journaliste guadeloupéen, rédacteur en chef à la direction de l’information régionale à France Télévisions a exploré les voies de l’égalité réelle  avec Marie-Hélène Caitucoli  docteure en science politique de l’EHESS et diplômée d’HEC ;











« Le concept d’égalité réelle vient d’être réactivé à l’échelle politique par la création récente d’un secrétariat d’Etat lui étant dédié. Pour le justifier, ses promoteurs reviennent sur la problématique de l’égalité  : l'égalité juridique est avant tout formelle tandis que l'égalité réelle entend compenser les inégalités constatées à l’encontre de la réalisation de l’égalité formellement promise. Evidemment, le projet entend dépasser la seule égalité des chances déjà amplement expérimentée. »






  Alex J. URI Je dis que sans l’égalité des chances, il n’y a pas  d’égalité des droits ? Qu’en pensez-vous ?


Marie-Hélène Caitucoli .Commencer par parler d’égalité des chances suppose déjà de savoir ce que l’on entend par égalité ou ce que l’on attend de l’égalité, inscrite comme un principe républicain dans notre Constitution.
Pour le dire rapidement, la Révolution française instaure et sacralise le principe sans trancher sur les fins qu’il promeut réellement. Deux grands courants de pensée se dessinent alors entre d’un côté les libéraux qui prônent l’égalité des conditions au service d’un individu autonome, libéré d’une société où les privilèges sont associés à la naissance, et de l’autre les révolutionnaires qui ne terminent pas la révolution, pour reprendre une formule fameuse, en quête d’une égalité en tout point. Ces derniers, souvent caricaturés en raison de leur tendance à un certain extrémisme, permettent de problématiser en réalité plus directement la question de l’égalité.
En effet, la laisser ainsi suspendue à elle-même invite à penser ses finalités. Des auteurs contemporains comme Patrick Savidan[1] ou Marcel Gauchet[2] y voient ainsi le fondement d’une réflexion sur le lien entre un type de régime et ses sociétaires, ou encore entre des institutions et ceux qui les instituent. Autrement dit, la question de l’égalité serait d’abord à poser non pas en vertu de son objet mais eu égard au régime politique qui la promeut. Or, le régime institué par la Révolution française et, d’une manière générale, celui qui crée l’assentiment majoritaire aujourd’hui, est le régime démocratique, dépendant par définition de la libre volonté des individus qui le composent. En échange de cette liberté qui l’institue, le régime démocratique promet aux individus le maintien et la protection de cette même liberté entre égaux. L’égalité montre ainsi une face cachée : la commune aspiration de tous les individus démocratiques à la liberté que leur régime promet. Au régime donc, pour perdurer, de promouvoir en retour l’égalisation des individus pour leur permettre d’exercer leur citoyenneté librement : redistribution et éducation ont à ce titre toujours été considérés comme le fondement du régime démocratique, avec toutes les variantes culturelles et historiques que cela autorise.
Nous sommes passés ici subrepticement à la notion de citoyenneté parce que, précisément, l’égalité à la fois promise par, et nécessaire au régime démocratique est celle de ceux qui le composent en commençant par l’instituer. C’est donc une égalité entre citoyens ou, comme le dit l’article premier de notre actuelle Constitution, l’égalité devant la loi.
C’est là l’égalité en droits mais les droits ici découlent de la loi. Parler d’égalité des droits comme dans votre question, en revanche, suppose la possibilité de droits revendiqués par certains au nom de l’exercice qu’en feraient d’autres. C’est une question délicate qui mériterait d’autres développements et je ne vais m’y aventurer pour m’en tenir plus simplement au lien que vous questionnez entre égalité des droits et égalité des chances. Si l’on s’en tient au rapide panorama que je viens de dresser, l’égalité des droits s’impose bien entendu pour tous les citoyens d’une société démocratique. Or, nous venons aussi de voir que pour former librement leur jugement et leur participation à leur loi commune, les citoyens doivent pouvoir bénéficier d’une capacité avérée à le faire. L’éducation et la redistribution offertes par les institutions démocratiques en sont des vecteurs. Elles ont cependant été pensées dans le cadre d’une société démocratique et concomitamment libérale. Vous parlez vous-même de l’égalité des droits comme d’un même accès aux droits pour tous. Ce ne sont donc pas là des attributs du citoyen mais des modalités d’exercice de leur citoyenneté ; du reste, ils intègrent le droit qui aura clivé toutes les grandes idéologies entre elles, à savoir le droit de propriété, sans pour autant promettre l’accès à la propriété privée pour tous. Dans les sociétés démocratiques libérales, on ne possède pas ce à quoi l’on a droit. En d’autres termes, tous les citoyens peuvent également prétendre aux mêmes droits et la société démocratique libérale a à charge de répondre à cette revendication, voire de s’assurer de son actualisation possible, par l’éducation notamment. L’individu-citoyen peut alors exercer ses droits selon ses projets et ses parcours de vie. On touche ici à la dimension capacitaire de l’égalité dans la société démocratique : tous les citoyens sans distinction doivent pouvoir jouir des mêmes droits ; ces droits sont donc a priori initialement formels et la société démocratique propose de donner à chacun les moyens de les exercer ; or, une fois ces moyens déployés (l’éducation pour le plus central), le mérite de chacun dans l’emploi qu’il en fera lui permettra d’exercer concrètement ses droits. C’est là, très brièvement décrit, le fondement méritocratique de l’égalité des chances.
En ce sens, oui, vous avez raison, sans l’assurance de disposer des mêmes moyens/chances/conditions de départ pour exercer des droits auxquels nous pouvons pourtant également prétendre, cette égalité en droits resterait purement formelle. De ce point de vue, l’égalité des chances semble en effet une condition nécessaire à l’égalité des droits. Mais est-elle suffisante ?


2.     Alex J. URI .Aujourd’hui nous sommes dans monde qui semble vivre des situations hyper-inégalitaires. On se rend compte que les questions d’égalité sont au cœur du débat politique notamment  aux  Etats Unis. Les démocraties ont du mal à  proposer des remèdes aux inégalités. Que se passe-t-il ?


Marie-Hélène Caitucoli .J’ai terminé ma réponse précédente par une question parce que c’est bien au fond celle qui vous tourmente.
Un sociologue du système scolaire français comme François Dubet[3], par exemple, montre à quel point les inégalités scolaires trahissent l’écart entre égalité des conditions et égalité des résultats, autrement dit l’utilisation très différente que l’on peut faire de ce moyen formidable qu’est l’éducation au service de l’égalité des droits. C’est bien le principe de la méritocratie me direz-vous, et c’est sans doute encore défendable dans certains cas, mais les chiffres témoignent d’une répartition de cette méritocratie très corrélée à certains facteurs sociaux-culturels. Sans la remettre en question pour elle-même et pour ce qu’elle promet comme condition nécessaire à l’égalité des droits, il s’agit donc d’en voir les limites pour l’accès réel à l’exercice de la citoyenneté visée.
Dans le même temps, la société démocratique doit aussi s’interroger sur le type d’égalité auquel elle aspire. A ce titre, il est plutôt rassurant que les questions d’égalité soient au cœur du débat démocratique, comme vous le soulignez.
Que vous parliez des Etats-Unis est toutefois révélateur d’un glissement à mon sens : si la République française une et indivisible s’est construite à partir de ce que la sociologue Dominique Schnapper appelle « l’utopie créatrice de la conception individuelle de la citoyenneté, de l’égalité de tous les citoyens, indépendamment de leurs origines »[4], la démocratie américaine est au contraire fondée sur les relations entre des groupes ethniques divers. L’égalité des chances s’est, aux Etats-Unis, très vite muée en nécessité de compenser les faiblesses historiques de certains groupes ethniques ou sociaux, en particulier celui des afro-américains. La fameuse affirmative action récupérée plus tard en France sous le vocable de discrimination positive, a ainsi apporté ce qui faisait défaut au principe de l’égalité des chances. Aveugle aux faiblesses récurrentes de certains groupes, antérieurement à la capacité qui pourrait leur être offerte de concourir à partir de la même ligne de départ, l’égalité des chances ne pouvait fonctionner sans cette compensation des faiblesses premières.
Pour moralement louable que soit cette intention de renforcer activement la mise en œuvre de l’égalité des chances, elle a, en particulier aux Etats-Unis, mis l’accent sur l’existence même des disparités entre groupes et sur le caractère en ce sens très fragmenté de la société démocratique américaine. Des droits ainsi donnés à certains groupes compte-tenu de leurs faiblesses particulières, ont, d’une certaine manière, officialisé l’existence de ces groupes particuliers.
Cette diffusion du traitement de l’égalité des chances à l’américaine au sein du modèle français n’a fait que souligner les limites de ce dernier, masquant par la fiction de l’égalité juridique, voire seulement formelle, des problèmes réellement constatés de racisme ou autres formes de discriminations dans l’accès à certains postes par exemple. Je crois que votre évocation du cas américain renvoie en France à cette mise au jour d’inégalités contraires au projet républicain. Or, en reconnaissant peu à peu, ça et là, certains particularismes, la société démocratique s’autorise à y répondre sans fin et à modifier ainsi en profondeur un modèle collectif unitaire où l’individu-citoyen est en relation directe avec l’Etat et ses institutions, de par ses droits, précisément, égaux pour tous. La problématique des inégalités réelles est donc d’autant plus complexe à assumer dans une société démocratique définie à partir de la similitude théorique entre des individus, parties d’un tout juridiquement indivisible.




George  PAU-LANGEVIN, ministre des Outre-mer


3-Alex J. URI Les conditions d’exercice de l’égalité sont l’objet d’un débat permanent en France. Qu’apporte le concept d’égalité réelle à ce débat ? Peut-on l’illustrer dans une dimension économique ?


Marie-Hélène Caitucoli Oui, le débat, tel que nous venons de l’introduire, est à présent bien installé en France. Il est du reste aussi encouragé par la politique européenne (ne citons que la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales à titre d’exemple) à contre-courant du modèle républicain français. Mais qu’il soit complexe ne suffit certainement pas à le rendre superflu. Il demeure que des inégalités perdurent, mettant en défaut le projet méritocratique républicain autant que la fiction jusque-là fédératrice de la République indivisible.
Le concept d’égalité réelle vient d’être réactivé à l’échelle politique par la création récente d’un secrétariat d’Etat lui étant dédié. Pour le justifier, ses promoteurs reviennent sur la problématique de l’égalité que nous venons de parcourir : l'égalité juridique est avant tout formelle tandis que l'égalité réelle entend compenser les inégalités constatées à l’encontre de la réalisation de l’égalité formellement promise. Evidemment, le projet entend dépasser la seule égalité des chances déjà amplement expérimentée. Si la prise en compte politique de cette problématique fondamentale pour toute société démocratique ne peut que réjouir chaque citoyen et rendre le débat sur l’égalité plus prégnant, elle situe aussi ce dernier sur le plan idéologique des origines. En effet, entre l’égalité des chances des libéraux et l’égalité totale des révolutionnaires les plus résolus de 1789, une égalité républicaine méritocratique et centrée sur l’éducation avait fini par percer qui doit à présent être revisitée à juste titre ; le faire à partir du concept marxiste d’égalité réelle est-il anodin ? Le marxisme propose précisément le passage d’une société capacitaire à une société où chacun peut vivre selon ses besoins, moyennant une égalité ainsi « réelle » mais est-ce là la promesse du Gouvernement ? S’il est tôt pour juger de sa cohérence et de sa faisabilité en termes de moyens, cette promesse devra, d’une manière ou d’une autre, faire ses preuves sur ces deux volets.

4-Alex J. URI .Quand on parle d’égalité réelle, n’est-on pas conduit à interroger le modèle social et le rôle de l’Etat ? En  agissant de la sorte, n’est-on pas  en train de jeter les bases d’un programme électoral et de chercher à décliner une forme de justice sociale ?


Marie-Hélène Caitucoli .Comme nous l’avons souligné plus haut, il faut d’abord cerner ce que recoupe l’expression et le projet auquel elle renvoie, en évitant de se laisser piéger par les termes. Ensuite, bien entendu, dédier un Secrétariat d’Etat à la question suggère le déblocage des moyens nécessaires à son action. De nombreux observatoires existent qui, complétés par les travaux sociologiques sur les inégalités devraient permettre de cartographier la nature et les origines de ces dernières afin de lutter contre les plus néfastes à l’équilibre démocratique.
On peut lister à titre d’exemples les inégalités de revenus à compétences équivalentes, notamment entre hommes et femmes, les inégalités face à l’accès à l’éducation, voire aux soins ou encore au logement.
La question est alors de savoir ce que l’on entend par égalité « réelle », quelles en sont les priorités et pourquoi, et de quels moyens on dispose pour la mettre en œuvre.
Alors, une réflexion sur le rôle de l’Etat s’impose qui devra mêler le respect de la tradition républicaine et de l’égalité formelle qui en est le pilier, à une souplesse nouvelle vis-à-vis de la différenciation manifeste de la société civile.
Nouvelle car la dénonciation des inégalités n’a jamais été aussi forte et autant associée à la mise en lumière des minorités qui en pâtissent. En effet, l’Etat-providence, depuis la fin de la seconde guerre mondiale,  a toujours, par définition, eu l’ambition d’intervenir à tous les niveaux de la vie sociale pour rendre effective/réelle l’égalité formelle : protégeant les enfants, les personnes malades, les chômeurs, les retraités, il a toujours tenté d’assurer des conditions d’existence acceptables afin que chaque individu démocratique se vive comme un citoyen. Aujourd’hui, l’Etat-providence est sommé d’étendre ses domaines d’intervention, au risque de reconnaître paradoxalement des particularités remettant en cause la dimension unitaire du collectif. Il s’agit donc bien de trouver un nouvel équilibre entre les interventions nécessaires de l’Etat pour répondre à l’exigence légitime d’égalité en démocratie et l’unité du corps social qu’il est censé garantir.
Deux questions semblent donc se poser à ce stade :
D’une part, n’accroît-on pas le risque de cristallisation des groupes en rupture avec la collectivité républicaine en envisageant l’égalité à l’aune de tous ses manquements plutôt qu’en tant idéal à promouvoir ?  Et surtout, d’autre part, peut-on réellement déployer les moyens nécessaires à un type d’égalité qui semble dépasser ici idéologiquement le projet démocratique per se ?
Certes largement défendable sur le plan des convictions ou des philosophies politiques qui s’y rattachent, la promotion de l’égalité réelle réclame ce type d’éclaircissements si jamais elle s’inscrit,  comme vous le suggérez, dans la déclinaison à venir d’une nouvelle forme de justice sociale.
A cet effet, promouvoir, organiser et réguler les échanges entre les diverses composantes de la société civile peut être une approche plus féconde que valoriser indéfiniment les revendications de remise à niveau de ces mêmes composantes. Cela entrainerait en effet un débat civique sur le niveau de reconnaissance publique à accorder aux spécificités de tous ordres et aux inégalités de traitement qu’elles révèlent


Ericka Bareigts , secrétaire d'Etat chargée de l’égalité réelle et Alex J. URI  rédacteur en chef à  direction de l'information à France TV




5-Alex J. URI .Peut-on compenser en aval les inégalités dans la logique de l’Etat-providence et passer à une logique de correction en amont modernisant ainsi la social-démocratie ?

Marie-Hélène Caitucoli. Ce que vous décrivez ici, en revanche, s’éloigne de la référence marxiste et renvoie directement à la philosophie politique contemporaine qui a réactivé la réflexion sur la social-démocratie, la justice d’une société libérale ou encore le socialisme libéral : c’est John Rawls[5] qui a, en 1971 et désormais fameusement, proposé de repenser les fondements d’une démocratie libérale à l’aune des inégalités qu’elle peut tolérer. Précisément, le caractère inédit de la pensée rawlsienne tient à ce renversement entre une recherche inaboutie de l’égalité démocratique et l’acceptation pragmatique de certaines inégalités, qu’il dira d’ailleurs « inégalités justes », dans la perspective d’une « justice comme équité ». Refusant de masquer les inégalités contre lesquelles l’égalité des chances ou des conditions s’avère vaine, Rawls, tout en promouvant cette dernière, lui adjoint comme acceptables les inégalités profitant aux plus défavorisés. Ainsi, pour reprendre vos termes, l’égalité des chances jouerait son rôle en amont tandis qu’en aval, certaines inégalités rémanentes pourraient être jugées acceptables, délimitant ainsi plus sûrement le périmètre de celles à éradiquer. Si cette perspective a révolutionné intellectuellement la pensée politique contemporaine, faisant l’objet de critiques plus ou moins constructives mais toujours très stimulantes, elle a aussi le mérite d’inviter à s’interroger sur les limites de notre société démocratique et à rappeler combien l’action publique doit pouvoir associer des moyens (les outils des politiques publiques) à des fins (quelle conception de l’égalité en l’occurrence). Elle y invite d’autant mieux qu’elle propose des principes déclinables en moyens, au service d’une fin clairement établie pour une société démocratique : la promotion de la plus grande égale-liberté pour ses citoyens.

6- Alex J. URI  L’électorat peut-il  aujourd’hui comprendre les enjeux de l’égalité réelle développée on le sait par des philosophes et des économistes dans les années 70.


Marie-Hélène Caitucoli . Je ne reviens pas à l’historique parcouru plus haut mais la reprise du thème de l’égalité par la philosophie politique contemporaine à partir des années 70 renvoie davantage à la question libérale de l’équité qu’à celle de l’égalité réelle. Cela étant, ce qui est central dans votre question, c’est l’appropriation par l’électorat d’une telle problématique.
D’une certaine manière, et le nom d’égalité réelle pour désigner un Secrétariat d’Etat recouvre alors une autre intention, l’électorat ne peut qu’être sensible à une question qui, on l’a vu, concerne l’ensemble du tissu social. Selon les projets qui s’en suivront, le débat pourra ou non s’ouvrir et les citoyens pourront s’y exprimer. En fonction de la dimension partisane, voire idéologique, qui sera privilégiée derrière la thématique de l’égalité réelle, le clivage traditionnel droite-gauche peut retrouver un certain sens mais l’électorat, précisément, n’a-t-il pas déjà commencé à exprimer un besoin de débattre de manière avant tout pragmatique de ce qui tient ensemble la société ?
A ce titre, assurément, le principe d’égalité, le projet républicain et démocratique qu’il sous-tend et ses modalités de mise en œuvre renvoient à un sujet politique de premier ordre, avant d’être une thématique électorale.

1Patrick Savidan, Repenser l’égalité des chances, Grasset, 2007.
2 Marcel Gauchet, La révolution des droits de l’homme, nrf, Gallimard, 1989.
3 François Dubet, L’école des chances : qu’est-ce qu’une école juste ?, Seuil, 2004.
4Dominique Schnapper« La République face aux communautarismes », Études 2004/2 (Tome 400), p. 177-188.
5 John Rawls, A theory of Justice, University of Harvard Press, 1971.



Marie-Hélène Caitucoli est docteure en science politique de l’EHESS et diplômée d’HEC. Rattachée au Centre d’Etudes Sociologiques et Politiques Raymond Aron, ses travaux récents portent sur les institutions démocratiques européennes, américaines et françaises (en particulier le Conseil constitutionnel).













mercredi 20 janvier 2016

Paroles de minorités entre deux mondes



Indravati Félicité, Réunionnaise, est professeur d’histoire des pays germaniques et de littérature et Alex J. URI, Guadeloupéen, est  rédacteur en chef à France Télévisions, ancien envoyé spécial permanent auprès de l’Union européenne.  Ils ont échangé sur le thème «  le monde et nous » à travers les prismes de l’Europe et l’Amérique. Selon eux, «  les forces obscures » du racisme qui se réveillent  sont de nature à cristalliser les relations sociales malgré la reconnaissance du multiculturalisme.  Les bavures policières contre les minorités afro-américaines aux Etats Unis ont  été ressenties partout où le passé esclavagiste avait semé injustice  et discrimination. Choc des brutalités  mais aussi le choc des points de vue qui remettent en cause la diversité, la coexistence de minorités dans un contexte où la sécurité est omniprésente. Regards croisés  avec lucidité et  sérénité

        Paroles de minorités entre deux mondes






Q-Alex J. URI. après les brutalités policières contre les Afro-Américains. de nouveaux auteurs noirs américains parlent aujourd’hui de la question raciale, de la diversité et du multiculturalisme de manière moins apaisée que leurs aînés Parmi ces écrivains, il y a  Ta-Nehisi Coates, journaliste à The Atlantic dont le livre   « Between the World and Me » ( Le monde et moi) chez Spiegel and Crau  176 pages  semble avoir  retenu votre attention. Vous dites que vous avez baigné dans cette problématique depuis votre enfance.
R-Indravati Félicité. Oui parce qu’à la Réunion, la question de  la diversité, de la différence mais  aussi des discriminations qui en découlent,  se pose historiquement. Elle se posait encore quand j’étais enfant, même si la situation était moins grave, moins difficile pour notre génération que  pour nos parents,  nos grands-parents, nos ancêtres. Cette question  était omniprésente dans notre vie quotidienne y compris dans nos  discussions familiales. Je me suis toujours demandée si cette question se posait de la même manière aux Antilles, en Afrique ou en Amérique qui était notre horizon le plus lointain.
Q-Alex J. URI.et donc l’horizon le plus proche c’était l’Afrique du Sud ?
R-Indravati Félicité C’était l’Afrique du Sud effectivement ! Dans la famille, nous portions des T-shirts « Mandela Free», nous  boycottions le jus d’orange produit en Afrique du Sud et nous avons  fêté la libération de Mandela comme  un événement réunionnais. Nous  avions conscience  d’une fraternité universelle autour de ces questions. C’était une des thématiques qui nous liait à tous les peuples noirs du monde. Nous nous sentions noirs.
Q-Alex J. URI Qu’en est-il  des attentes suscitées par la présidence d’OBAMA ? Ne pensez-vous que  cette question de la diversité, que les droits acquis par les Noirs et par les minorités sont grignotés, voire remis en cause, qu’on est en train de revenir en arrière?

-Indravati Félicité- J’ai l’impression que l’élection d’OBAMA a réveillé les forces obscures  qui s’étaient calmées au cours des dernières décennies parce qu’on avait banalisé la question noire d’une certaine manière, autour d’un politiquement correct qui  n’avait finalement pas d’expression concrète. Et Le fait qu’un Noir ait réussi à  accéder aux plus hautes fonctions,  a ravivé le racisme et la violence dans la société américaine. Cela me rappelle un peu  la haine que suscite  Christiane Taubira,  notre ministre de la justice en France. Vous avez  effectivement raison, cette  résurgence de la brutalité montre  que la question n’était pas réglée malgré le chemin parcouru grâce à des figures exemplaires  dont vous faites partie pour notre génération, pour que nous n’ayons pas besoin de nous   battre contre  ce racisme  basique, primaire. Aujourd’hui ce racisme  existe sous des formes plus sournoises mais tout aussi brutales.
Q-Alex J. URI. Pensez-vous que ce sont les minorités qui vont faire la décision quant à l’élection du prochain président de la République. Selon vous, les minorités vont-elles jouer un rôle important dans la société française ?
R-Indravati Félicité. Je pense qu’elles jouent déjà un rôle important même si elles sont considérées  avant tout comme un réservoir de voix  sur un marché électoral. Il ne faudrait pas que les minorités se cantonnent à  cette fonction là. Sans vouloir donner de leçon car je ne participe pas à cette vie politique  même si je trouve très courageux de s’engager, je pense qu’en tant que minorités, nous avons intérêt à développer une nouvelle manière d’intervenir dans le débat et ne pas se laisser enfermer  dans des catégories ou dans des modèles  qui peut-être ont fait leur preuves pour les générations précédentes mais qui ne sont plus les nôtres.
Q-Alex J. URI. Il y a eu des tentatives de fédérer les voix des minorités, y compris les voix d’Outre-mer.  Des circonstances particulières dues à un affaiblissement,  à une frilosité, à une peur face à un danger extérieur ne viennent-elle pas compliquer la situation des minorités ?
R-Indravati Félicité. Tout à fait. On est en porte à faux. On est  pris entre deux feux  parce qu’une partie de la société et même de  la classe politique exige un positionnement clair des minorités, qui nous empêche de réfléchir et  de prendre une   distance  pourtant  nécessaire. Dans le journal Le Monde, Angela Davis, venue faire une leçon inaugurale à la Sorbonne a été interrogée au mois de décembre. Votre confrère lui a demandé sa vision des événements terroristes parce qu’elle-même avait été considérée à une époque comme terroriste. Elle a répondu  qu’il fallait se demander pourquoi une partie de la jeunesse française  s’intéressait à ces questions. Je pense qu’elle est plus libre  de parler de ces questions que nous  mais  il est important de  trouver le moyen d’intervenir dans ce débat sans être soupçonné. C’est très compliqué. Comment expliquer sans pouvoir être soupçonné de vouloir excuser ? C’est très difficile je pense.
Q-Alex J. URI.  Vous qui êtes chargée de superviser les études germaniques  pour des étudiants français, comment voyez l’Allemagne et ses minorités ? Quelle culture, quelle articulation pour ces minorités ?
R-Indravati Félicité. Je pense que l’Allemagne  elle  aussi est  confrontée à des gros problèmes, qui sont différents. Elle est tout aussi désarmée. Dans les années 90-2000, il y a eu un débat sur la notion de  culture dominante. On s’est demandé, pour faciliter l’intégration, s’il fallait  imposer une culture dominante aux populations d’origine étrangère.
Le débat n’a rien donné  donc on s’est rend compte qu’il s’agissait d’une manière stérile d’aborder la question. Au final, s’est imposé  un compromis entre une adhésion des populations nouvelles à la constitution et l’acceptation par les forces conservatrices que l’Allemagne devenait une société multiculturelle. Cette  question resurgit aujourd’hui avec force avec l’accueil d’ 1 million de réfugiés. Le  pays se demande donc si la seule adhésion à la constitution permet d’intégrer une population aussi importante.
 Q-Alex J. URI. Pourquoi va-t-on chercher une enseignante  réunionnaise pour dispenser des cours d’allemand dans une université européenne ? Ce serait peut-être amusant d’expliquer cela.
R-Indravati Félicité. Ah oui ! parce que quand j’apparais  dans les cercles de germanistes, les gens se demandent souvent ce que je fais là. Dans les études germaniques, il y a aussi des black studies… mais quand même ( rire) elles ne sont pas tellement représentées. De par mon histoire, j’ai une affinité avec l’Allemagne puisque mes parents, communistes et très militants, ont fait  une partie de leurs études  en Allemagne de l’Est. L’Allemagne était pour  eux une alternative à la France de l’époque  qui était perçue comme une chape de plomb dans les années 60-70. Pour les territoires d’Outre-mer c’était une période très difficile. Le rapport avec ce qu’on appelle la métropole et que je préfère appeler l’hexagone était plus compliqué. J’ai aussi rencontré mon mari qui était allemand pendant mes études d’histoire  et cela m’a permis de renouer avec le passé familial et faire une partie de mes études en Allemagne. J’ai aussi été attirée par  l’Allemagne parce que je trouvais qu’à l’université  on  abordait des questions qui ne l’étaient en France. C’est en Allemagne que j’ai découvert Frantz Fanon. Mon séjour de deux ans et demi à l’université allemande m’a beaucoup marquée. J’y ai trouvé parce que un regard plus ouvert, une attitude plus différente vis-à-vis de l’histoire de la colonisation, de l’histoire de la guerre d’Algérie. J’ai travaillé aussi des textes d’écrivains français noirs, assez peu étudiés dans les universités françaises.