mercredi 31 août 2011

Le bain de jouvence à Saint Claude, Guadeloupe



Les bains jaunes de Saint Claude, Guadeloupe



C’est un bain  de  jouvence qui nous vient des entrailles du volcan, la Soufrière.
Dans les hauteurs de Saint-Claude, l’eau jaillit avec force et elle se répand dans un bassin que l’on nettoie  régulièrement.
L’eau brûlante prend un circuit alambiqué près du cœur  et des flancs intérieurs de la Soufrière, se glisse  sous  le sol de la forêt luxuriante,   se déverse  dans les vasques des Bains jaunes  et  se transforme en ruisseau  sinueux  dévalant la pente  jusqu’au pied du volcan.
 Le site des bains jaunes à Saint Claude est un passage obligé pour tous ceux qui sont  en visite à la Guadeloupe. C’est un lieu historique qui affiche des vertus  salvatrices . Il offre une eau soufrée à 28°C accessible à tous gratuite  et  qui porte  une  certaine paix à ceux que  les douleurs musculaires et l’inconfort asthmatique perturbent .  La source naturelle des bains jaunes  est un espace thermal comme  tant d’autres en Guadeloupe  qui illustre bien Karukera le nom d’île aux belles eaux  que les Caraïbes ont donné  à l’archipel.

Textes et photos by Alex J. URI

lundi 29 août 2011

L’Allée Dumanoir à Capesterre-Belle-Eau



L’Allée Dumanoir: Le couloir majestueux
de Saint-John Perse

« L’accident a eu lieu à l’allée Dumanoir » murmurait-on dans le voisinage. Nous savions que le choc des automobilistes avec les palmiers royaux  était souvent meurtrier. A Capesterre-Belle-Eau, c’était  pour nous  un second cimetière, à quelques centaines de mètres du vrai cimetière communal. A peine sorti du bourg en venant de Pointe-à-Pitre, les filaos languissants  semblent  avec résignation préparer le  cortège  de chaque côté de la voie. A l’époque, les vicaires devenus plus tard  évêques, nous avertissaient bien avant l’hôpital de funérailles à célébrer. Jean, neveu d’un des prêtres, se chargeait de l’encensoir  et moi  je portais  la croix. Enfants de chœur, nous n’arrivions plus à compter les victimes  de ces carambolages. Tant de larmes versées ne décourageaient point  les chauffeurs pressés d’entretenir la réputation  lugubre de  cette route qui marque une des entrées du bourg de Capesterre.


Et pourtant, cette  allée a toujours fait rêver avec ses arbres qui s’élancent vers le ciel d’un  bleu immaculé. Elle donne l’illusion d’émerger d’une forêt luxuriante en bordure de la mer.  Les palmiers à la file indienne de chaque côté surveillent la Soufrière, le volcan capricieux qui  surplombe l’île visitée par Christophe Colomb le 3 novembre 1493 .



A l’origine, c’était une allée avec une double rangée de palmiers royaux, plantés vers 1850. Les chevaux y avaient une véritable piste pour accélérer mais avec les chevaux-vapeur  les chevaux -machines trop puissants perdaient parfois la raison   sur  l’allée devenue route asphaltée avec son dénivelé d’antan. Les tragédies ne découragent pas les uns et les autres de revenir vers cet endroit paisible du nom d’un membre de la famille PINEL-DUMANOIR. L’Allée Dumanoir longue de plus de 1km avec ses quelques 400 palmiers royaux  reste majestueuse.  En l’espace d’un siècle, les cyclones et vent violents n’ont pas manque de décapiter quelques palmiers  qui leur résistaient avec arrogance tout en s’acharnant le  bananeraies  qui les  côtoient. Les palmiers comme les bananiers sont alors replantés  et ce tronçon de route en pleine verdure  retrouve très vite  un décor cinématographique. C’est d’ailleurs à l’Allée Dumanoir que les jeunes mariés viennent se faire photographier et figer leurs souvenirs  amoureux pour l’éternité. Le poète Saint-John Perse, de son vrai nom Alexis Léger a lui aussi maintes fois évoqué cette allée dans ses souvenirs d'enfance. Rien de surprenant pour celui qui a reçu le prix Nobel de littérature en 1960   puisqu'il a grandi dans l'habitation Bois-Debout  juste à l’entrée de ce couloir magnifique.

                                         L'entrée de l'Allée Dumanoir par la  nouvelle route

Aujourd’hui, la route nationale a été déviée  et  l’Allée Dumanoir semble avoir retrouvé sa sérénité.  Les piétons et les automobilistes se réapproprient cette route prestigieuse qui est un  véritable patrimoine  pour cette  région qui m’a vu naître  et pour l’île  transformée en terre de champions sportifs le dernier en date cinq fois champion du monde de judo  Teddy RINER .
Textes et photos by Alex Uri

Sainte Marie de Guadeloupe et Christophe Colomb



Sainte Marie de Guadeloupe et Christophe Colomb


C’est le 4 novembre 1493, les caravelles de Christophe Colomb abordent les côtes de Karukera, l’île aux belles eaux. Le navigateur gênois de jeter l’ancre dans la partie sud est de la Guadeloupe pour permettre à ses hommes de se reposer et de se ravitailler. Ils débarquent ainsi à Sainte Marie, dans la ville de Capesterre-Belle-Eau.
L'île de Caloucaera "Karukera" (nom donné par les Caraïbes) fut rebaptisée "Santa Maria de Guadalupe de Estremadura". Chrostophe Colomb avait promis à des religieux de donner le nom de leur monastère à une île lors d'un pèlerinage qu'il avait accompli dans la région d’Estrémadure en Espagne au couvent de "Santa Maria de Guadalupe de Estremadura ».
Au début , les Caraïbes tolérèrent ces "marins de passage" et parfois même fraternisèrent avec eux mais la cohabitation ne va pas durer. En 1515 Ponce de Léon, glorieux conquérant de Porto Rico et Antonio Serrano installent définitivement des colons ibériques sur l'île. Conséquence : les rapports avec les Caraïbes vont rapidement se détériorer. Les Caraïbes les chassent violemment les envahisseurs. Une mission de dominicains espagnols est ainsi complètement anéantie en 1603.
Fatigués de se voir régulièrement mangés par les terribles guerriers caraïbes, les Espagnols abandonnent les Petites Antilles à leurs ennemis "les plus chers", les Anglais et les Français. Les conquistadors préfèrent dès lors les terres plus riches du Mexique et du Pérou.
Aujourd’hui, Sainte Marie est toujours un lieu où on se ravitaille. Il y a toujours sur la route des marchands de produits de la mer. Les voitures y font souvent une halte et les occupants viennent chercher du poisson.Textes et photos by Alex J. URI

dimanche 28 août 2011

Gil Thémine plaide en faveur d'un port en eau profonde en Guadeloupe


Gil Thémine plaide en faveur d'un port en eau profonde en Guadeloupe


Alex J. Uri : La Guadeloupe est un archipel et abrite comme d’autres îles des ports consacrés au commerce avec l’extérieur. Pourquoi aujourd’hui un tel engouement pour un port en eau profonde ?
Gil Thémine, Président du Port Autonome de la  Guadeloupe. Le port autonome de Pointe-à-Pitre est un établissement public de l’Etat dont l’impact économique et le rôle  ont largement été sous-estimés depuis sa création. Il a surtout été perçu comme un instrument au service des importateurs et non comme un vecteur de développement associé à une stratégie globale. Le port a été plus subi qu’utilisé comme un instrument à part entière du développement économique de la Guadeloupe.

 
 Port autonome de la
 Guadeloupe à Pointe-à-Pitre






Alex J. Uri, Rédacteur en chef (direction régionale de l’information à France Télévisions). Vous êtes président du Port Autonome depuis 2005. Qu’avez-vous fait pour corriger cette perception et  donner à ce port les ressorts pour qu’il devienne un  tremplin au développement économique de cet archipel dans la Caraïbe, ballottée par les effets pervers de la mondialisation ?
Gil Thémine. Les premières années ont été consacrées à l’observation et aux études mais aussi à l’examen des enjeux et des forces en présence. Elles permettent de constater que le Président du Port Autonome ne peut s’exprimer  que dans le cadre de relations de travail et de confiance avec un Directeur général (à ce propos, je rappelle qu’il est nommé en  conseil des ministres).
Un rapport récent du Sénat confirme que jusqu’à 2008, date à laquelle la réforme des ports autonomes devenus grands ports maritimes, la stratégie de l’Etat était peu perceptible par les différents acteurs. J’ai donc exploré d’autres enceintes  pour enrichir notre  réflexion. Ma participation  aux conférences de l’AAPA (Americana Associations of Port Authorities) m’a permis de comprendre que les travaux  initiés au Panama pour la réalisation  d’un troisième jeu d’écluses allaient profondément modifier le transport, le stockage des marchandises. Il y a aussi  l’augmentation mécanique de la taille des  navires qui appelle des tirants d’eau  supérieurs à ce que nous avons aujourd’hui.



Alex J. URI  En conséquence, si vous n’engagiez pas  une réforme  adaptée à  cette nouvelle problématique, le Port Autonome risquerait d’être hors jeu dans ce nouveau   commerce maritime.
Gil Thémine . J’ai convenu avec le Conseil d’Administration qu’il devenait urgent  de lancer un projet de grand port pouvant relever  ces nouveaux défis et donner à la Guadeloupe l’étoffe nécessaire pour jouer un rôle déterminant dans toute nouvelle  configuration en terme de trafic.


Alex J. URI : Comment va se réaliser ce projet de port en eau profonde ? Quelles sont les différentes étapes sur le plan administratif et politique ?
Gil Thémine : Trois conditions : tout d’abord l’accord de la tutelle, le ministère des transports, ensuite l’accord de la population, ce qui va être fait dans un débat public et c’est la première fois que cela se produit en Guadeloupe (il y a une commission du débat public et vingt communes y sont déjà inscrites). Enfin, la condition du marché. Ce marché sera sollicité dans le cadre d’un appel à projet international dont les réponses nous parviendraient à la mi septembre. Passé ce délai, nous saurons si notre projet intéresse la communauté portuaire internationale.


Alex J. Uri : Comment expliquer que vous ayez aujourd’hui les moyens de faire ce que d’autres n’ont pas envisagé  faute de concertation et de volonté politique ?
Gil Thémine : J’ai bénéficié d’une situation conjoncturelle propice : le trafic maritime mondial a chuté avant d’amorcer une nouvelle reprise depuis 2009. Cette reprise a focalisé l’attention des gouvernements des pays du monde entier sur l’importance vitale du trafic maritime. Moi, Guadeloupéen, j’ai saisi l’urgence et l’importance de ces questions dans la conjoncture nationale. A l’évidence, nous ne pouvions rester à l’écart des grandes réflexions sur ces secteurs d’activité sous peine d’être plus tard marginalisés. Ces réflexions mettent en lumière l’importance stratégique de ce secteur d’activité pour l’économie mondiale et bien évidemment caribéenne dans le contexte des relations Nord Sud ou Sud Sud.

Alex J. Uri : Quels sont les obstacles majeurs à la réalisation d’un tel projet de port en eau profonde ?
Gil Thémine : C’est le marché ! Ce sont les armateurs et l’opérateur privé qui doivent choisir la Guadeloupe comme nouveau hub de transbordement en considérant que sa position géographique est une des plus favorables et demandent à faire ajouter la construction d’un nouveau terminal. Cette construction doit être assortie d’une réflexion sur le statut fiscal et douanier de la zone.
http://www.portguadeloupe.com/fr/

Photos by Alex J. URI

                                                                       Alex J. URI

jeudi 25 août 2011

Carole Venutolo-Legrix: la soprano et le gwo ka





Carole Venutolo-Legrix: la soprano et  le gwo ka

Alex J. URI. Vous venez de créer un nouveau spectacle du nom de "L'OPERA-KA"? de quoi s'agit-il?
Carole Venutolo-Legrix.Il s’agit d’une rencontre improbable entre l’opéra et le gwo Ka ! J’ai voulu en tant que soprano passionnée d’opéra mais pas moins guadeloupéenne à l’écoute du gwo ka, trouver une plate forme de rencontre en créant un espace d’échange musical, tout en veillant à ne pas dénaturer ces deux types de musiques chargées d’histoire.L’opéra comme le gwo ka sont toutes deux des musiques passionnées  qui ont traversé le temps et qui nous parlent encore .C’est inédit et de l’avis des amoureux de la musique et du tout public, une rencontre heureuse !
Pour cela, je me suis entourée d’artistes guadeloupéens de talents : Jean-Michel LESDEL pianiste, Marie-Line DAHOMAY ambassadrice du Chant Gwo Ka, Stéphane NABAJOTH aux percussions, Vanessa RAMEAU au ka, et moi-même en tant que soprano lyrique.
C’est pour moi une étage supplémentaire dans le cadre de la démocratisation du chant lyrique que je poursuis depuis plus de 15 ans en Guadeloupe.

Carole Venutolo-Legrix à son bureau au WTC



Alex J. URI.Est-il vraiment possible de démocratiser l’opéra et en Guadeloupe en particulier ?
Carole Venutolo-Legrix.L’opéra est une musique indémodable qui a su trouvé un souffle nouveau dans le monde, notamment grâce à des ténors comme Pavarotti qui a ouvert les portes de cet art à un public nouveau, notamment par le biais de duos qu’il a osé faire avec des chanteurs de variétés.
Aujourd’hui, d’autres ambassadeurs de l’opéra dans le monde lui ouvrent les portes de nouveaux espaces d’expression, je pense au marché de Barcelone en Espagne qui a été l’année dernière le théâtre de représentations musiques où l’opéra s’est fait entendre.
Je suis convaincue qu’un art que l’on enferme est un art qui meurt.
En tant qu’amoureuse de l’opéra, je n’ai eu de cesse de faire des spectacles qui interpellent un public de plus en plus large pour faire découvrir cet Art de manière pédagogique. Ce fut le cas avec « OPERA SOLEIL » que j’ai présenté en 2007 et qui faisait l’opéra aller à la rencontre de Musiques contemporaines.
J’ai également fait la démarche en 2010 d’amener le chant lyrique à la portée du plus grand nombre en faisant la tournée des communes de la Guadeloupe et de son archipel pour chanter de l’opéra sur les places publiques en partenariat avec les municipalités.
Le retour a été surprenant de la part de personnes qui jusqu’ici se croyaient exclus de ce type de musique « élitiste ».
D’année en année, le public qui est intéressé par le chant lyrique s’élargit tant en nombre qu’en représentativité de l’ensemble de la population de la Guadeloupe.
C’est un travail de longue haleine mais passionnant où s’établit une rencontre profonde avec le public.
Alex J. URI.Est-il vraiment possible de démocratiser l’opéra et en Guadeloupe en particulier ?
Carole Venutolo-Legrix.L’opéra est une musique indémodable qui a su trouvé un souffle nouveau dans le monde, notamment grâce à des ténors comme Pavarotti qui a ouvert les portes de cet art à un public nouveau, notamment par le biais de duos qu’il a osé faire avec des chanteurs de variétés.
Aujourd’hui, d’autres ambassadeurs de l’opéra dans le monde lui ouvrent les portes de nouveaux espaces d’expression, je pense au marché de Barcelone en Espagne qui a été l’année dernière le théâtre de représentations musiques où l’opéra s’est fait entendre.
Je suis convaincue qu’un art que l’on enferme est un art qui meurt.
En tant qu’amoureuse de l’opéra, je n’ai eu de cesse de faire des spectacles qui interpellent un public de plus en plus large pour faire découvrir cet Art de manière pédagogique. Ce fut le cas avec « OPERA SOLEIL » que j’ai présenté en 2007 et qui faisait l’opéra aller à la rencontre de Musiques contemporaines.
J’ai également fait la démarche en 2010 d’amener le chant lyrique à la portée du plus grand nombre en faisant la tournée des communes de la Guadeloupe et de son archipel pour chanter de l’opéra sur les places publiques en partenariat avec les municipalités.
Le retour a été surprenant de la part de personnes qui jusqu’ici se croyaient exclus de ce type de musique « élitiste ».
D’année en année, le public qui est intéressé par le chant lyrique s’élargit tant en nombre qu’en représentativité de l’ensemble
La démocratisation de l’opéra en Guadeloupe est bien en marche.
site internet : carolevenutolo.com



Alex J. Uri.A-t-on les moyens en Guadeloupe de faire émerger des talents dans le domaine de l’opéra ?
Carole Venutolo-Legrix.De plus en plus de jeunes étudient le chant lyrique dans des conservatoires en France en Europe aux Etats-Unis.
L’intérêt auprès de ce public est grandissant, mais il faut avouer que malgré toute la bonne volonté des quelques professeurs basés en Guadeloupe, le manque d’encadrement et de moyens qu’offrent un véritable Conservatoire se fait cruellement ressentir.Alors bien sûr une exception sort parfois du lot comme avec cette élève qui a  remporté cette année le 1er prix du Conservatoire international de Musique Alfred de de Vigny à Paris alors que sa seule formation a été de prendre des cours de chant avec un professeur en Guadeloupe . Mais cela reste une exception !Il y aura toujours une différence entre « bon » et « excellent ». « L’excellent » est celui qui est sur la plus haute marche du podium entouré de « bons ». Si nous voulons prétendre gagner des concours et se faire reconnaître parmi les meilleurs, nous ne pouvons pas nous priver d’un conservatoire public qui permettrait au plus grand nombre de développer leurs talents.


CarcleCarole Venutolo-Legrix  et Alex J. URI  devant le WTC  à Pointe à Pitre, Guadeloupe

vendredi 19 août 2011

Couleur de peau stigmates et séréotypes

Couleur de peau stigmates et séréotypes







Patricia  BRAFLAN-TROBO , auteure  de couleur de peau  stigmates et stéréotypes aux Editions Nestor, explicite les mécanismes de création et de transmission  des stéréotypes, des préjugés, des éléments de la pensée sociale et des représentations sociales, particulièrement dans une société post-esclavagiste  comme la Guadeloupe.



« Jusqu’à maintenant, des postes de direction  et de commandement sont en  majorité occupés par des personnes dites blanches…


 Avril 2011


1-Alex J. URI -  la couleur de peau dans un pays tropical  où les gens sont   en général  « colorés »  peut –elle  vraiment être  un handicap ? N’y a-t-il pas là une contradiction ? En quoi peut –elle être source de conflits ?

Patricia  BRAFLAN-TROBO- Pas de contradiction   parce que ce pays tropical a une histoire et c’est précisément cette histoire  qui donne de l’importance  à la couleur de la peau  et pas seulement le soleil. Les rapports sociaux se sont  construits  dans le cadre d’un rapport de type esclavagiste. L’esclavage en ce sens  singulier aux Amériques qu’il a mis en relation deux groupes ethniques différents : le groupe des dits blancs et le groupe des dits noirs. Les sociétés actuelles  portent encore les stigmates  cette relation là. Autour des personnes dites  « noires » s’est construite une somme d’images et des stéréotypes que ces mêmes personnes ont intégrés et véhiculent. Ainsi, on entend  des expressions telles que «  complot à nèg  cé complot à chyien «  ou encore « nèg pas ka travay é pi nèg ». Ce sont des expressions bien connues qui  illustrent l’intégration des préjugés par les personnes qui en sont, elles -mêmes, les victimes. Jusqu’à maintenant, des postes de direction  et de commandement sont en  majorité occupés par des personnes dites blanches, ce qui permet de maintenir le continuum historique autour de la couleur de peau.

« Le syndrome de la  peau échappée existe toujours …»

2-Alex J. Uri-On parle beaucoup aujourd’hui de métissage. Est-ce que cela peut régler le problème ?

Patricia  BRAFLAN-TROBO- Non! Contrairement à tous les grands discours, la couleur de peau demeure problématique. Pourquoi ? Parce que  l’histoire de France  s’est construite autour de la supériorité de l’autochtone français blanc aux yeux bleus et qui aurait une mission civilisatrice. Donc revenir sur toutes ces certitudes, ces aprioris demande de déconstruire  une bonne part  de ce que le français « blanc » pense de lui et de son pays. Ceci reste valable  pour le reste de l’Europe.

3-Alex J. URI. Le syndrome de la » peau échappée » existe-t-il encore  tel que l’a décrit l’écrivain psychiatre martiniquais Frantz Fanon dans « Peaux noires et masques blancs » ?

Patricia  BRAFLAN-TROBO- Cela existe toujours ! IL imprègne de manière très subtile les inconscients des personnes parfois les plus avancées intellectuellement. Ces dernières sont parfois les plus influencées  par la problématique de la couleur de la peau en dépit de leurs discours. Il faut tout de même évaluer l’impact de judiciarisation des relations sociales. En effet , tous les procès intentés pour discrimination raciale ont tendance  à faire reculer  ce problème. Dans les relations de travail ( beaucoup reste à faire dans ce domaine) seule une politique publique et volontariste de la part de l’Etat dans la lutte contre les discriminations liées à la couleur de la peau pourra  réellement  donner des résultats.

Alex J. URI et Patricia BLAFRAN-TROBO à Pointe-à-Pitre, Guadeloupe


samedi 6 août 2011

A la recherche de ton trésor




A la recherche de ton trésor



Je voudrais te dire que je t’entends de loin
Même  si tu ne me parles point.
J’imagine tes lèvres  au service de tes pensées :
Celles qui voudraient me repousser
Mais surtout  celles qui cherchent à m’étreindre.
Je vois entre tes jambes un oreiller qui me ressemble.
Et qui se trouve là où je poserais bien ma tête.
Depuis ta rupture, les câlins ils te manquent
Mais tu ne  veux pas que   cela se sache.
Cela te rassure quand ils te courtisent
Cela t’effraie  quand ils ne cherchent qu’une servante.
Ne joue point à la femme rebelle
Quand d’un seul regard,  à distance, il te chavire.
Il te demande de te laisser prendre à l'abordage ton navire
Car c’est un pirate à la recherche de ton trésor.


Alex J. URI

vendredi 5 août 2011

Paulinius dit Popo (2/2)


Paulinius dit Popo (2/2)

Elle se rappela les histoires des vielles femmes de l’habitation qui racontaient comment leurs ancêtres africaines mettaient au monde leurs enfants, seules avec l’aide des dieux. Elle s’accroupit et commença à pousser. Soudain, elle eut un moment de panique en pensant aux nombreux  bébés morts-nés sur les plantations. Mais en mettant la main sur son pubis, elle sentit poindre des cheveux cotonneux et humides et fut gagnée par un réflexe de survie. Elle poussa encore plus fort et laissa échapper un cri  dont la nature fit écho. , Emile qui la recherchait depuis la nuit tombée, s’était fourvoyé dans la montagne où ils allaient tous les deux se baigner dans des sources d’eau.


 En regardant la pleine lune, son cœur se  mit à palpiter. Félicie devait être en train d’accoucher. Quand il arriva près du manguier, elle avait sectionné le cordon ombilical du nouveau-né. L’accoucheuse marronne de l’habitation qui était restée aux aguets, avait, elle aussi, retrouvé Félicie. Elle improvisa une salle de travail avec des feuilles de madère et de bananier qu‘elle recouvrit de draps usagés. Emile fut prié de s’éloigner et d’allumer un feu pour faire bouillir l’eau. Elle lava le bébé qui pleurait en gigotant et lui désinfecta le nombril avec une  potion alcoolisée de sa composition. Bientôt, Félicie fut délivrée du placenta  que l’on garda précieusement en guise de talisman. Emile prit son fils dans ses bras et lui souffla son nom, Paulinius à l’oreille. C’était une coutume caraïbe qui devait le protéger des mauvais esprits et il  le présenta aux étoiles en récitant des prières en langue africaine.

                                             Maison des esclaves


Emile n’avait pas connu la traite des esclaves mais il en avait subi les séquelles. C’était un homme libre mais toujours astreintaux  mêmes conditions de vie. Après vingt cinq ans de travail, il ne possédait qu’une case en bois tressé, colmatée de torchis. Son mobilier  se réduisait à une petite table, un vieux pot de sucrerie pour conserver  son eau, un gros coui pour recueillir l’eau de la rivière. Quelques roches disposées en triangle lui permettaient de faire un feu. Ses ustensiles de cuisine se résumaient à un pot en fer blanc, une petite soupière, une cruche en terre et un sac en latanier pour presser la farine. Il dormait presque à même le sol, sur des feuilles de bananier,étalées sur quelques planches montées sur quatre pierres:un lit de fortune.
Paulinius ne devait plus connaître le même sort  et son père souhaitait pour lui  une vie  de  liberté mais surtout de dignité. Cet enfant représentait  le souffle du changement. Emile admirait  ce beau  bébé aux yeux vifs et aux réflexes pleins de vigueur, accroché au sein de sa mère. Félicie l’embrassa et lui rappela qu’il fallait enterrer  le nombril de Paulinius au pied du manguier qui désormais faisait partie de la famille.

Le samedi 1er juillet  1882, Emile et Félicie se réveillèrent au chant du coq  pour se rendre à la mairie du Baillif.  Venir  des  hauteurs  bourg,  pour accomplir des formalités administratives ou se rendre à la messe, relevait d’une véritable entreprise pour des gens de conditions misérables mais qui avaient une grande fierté de leur  paraître. Ils avaient dû quitter la plantation la veille et marcher des kilomètres interminables, parfois pieds nus, à travers des sentiers rocheux  que les orteils redoutaient. Félicie à dos de mulet avait fait le trajet sans trop d’encombres tandis que Paulinius somnolait paisiblement dans un panier d’osier. La petite famille ainsi que  des cousins et des voisins, avaient passé la nuit dans une petite hutte, proche de la maison communale. L’angoisse de rencontrer les officiels de la mairie les perturbait. C’était pour eux un examen oral et écrit auquel ils n’étaient pas préparés.

Le jour commençait à poindre  sur la plage. Chacun mangea un tronçon  de canne à sucre qui servait de brosse à dent écologique. La  mer apparut telle une baignoire immense ; tout le monde  s’y jeta pour prendre un bon bain avec rinçage à l’eau de pluie. Emile portait une  chemise et un caleçon de couleur avec un chapeau de paille. Félicie avait,elle, une chemise blanche et un foulard de madras noué autour de la taille tranchait sur la jupe.  Un foulard lui couronnant la tête cachait sa chevelure courte, épaisse et cotonneuse d’où émergeaient quelques duvets soyeuxtapissant sa nuque  et ses tempes jusqu’aux oreilles. Elle marchait en berçant dans les bras son fils Paulinius, vêtu d ‘une casaque et d’un bonnet bleu ciel. 

Dès huit heures, le petit cortège se dirigea vers la mairie. A l’entrée, Emile tétanisé montra l’enfant à l’adjoint au maire Charles Aubly officier d’Etatcivil qui comprit qu’il s’agissait de dresser l’acte de naissance. Emile TORRENT reconnut officiellement   son fils Paulinus né de Félicie HATCHE, en présence de deux témoins qu’ils avaient choisis, un cultivateur de Baillif et un commerçant de Capesterre de Guadeloupe. L’acte  fut établi et signé par les témoins. On en donna lecture aux deux parents qui ne savaient ni lire ni écrire. Ils poussèrent un soupir de soulagement à leur sortie de la mairie et se rendirent à l’église pour  organiser le baptême de Paulinius.

© Août 2011  Alex J. URI Paulinius dit Popo   extraits de la Légende de Popo Torrent.



Alex J. URI, Audrey et Cynthia Phibel (de Vieux-Habitants)

jeudi 4 août 2011

Paulinius dit POPO (1)



PAULINIUS dit POPO (1)


A l’habitation Bellevue, dans la section de Saint-Robert de Baillif, la semaine avait été pénible pour  Félicie Hatch. Elle ressentait maintenant des douleurs au bas ventre chaque fois qu’elle se penchait pour enlever les mauvaises herbes autour des caféiers. Son fiancé, Emile Torrent était à ses côtés pour l’aider  mais  il avait déjà la tâche bien rude de monter et de redescendre les pentes fortes pour s’occuper des cacaoyers et du manioc. C’était une semaine infernale pendant laquelle le géreur ne manquait pas de la harceler. La belle Félicie qui avait trente ans, connaissait les rigueurs  du travail au soleil. Son chapeau de paille en forme de sombrero la protégeait quelque peu mais la pause-déjeuner, elle l’attendait, sous un manguier, comme une halte au paradis

 Neuf mois, plutôt, c’est là qu’elle avait cédé aux avances d’Emile. Après le travail, ils avaient traîné dans les sentiers et avaient tourné en rond dans les environs. Sous un manguier, ils prirent le temps de cueillir, d’éplucher et de savourer un fruit bien mûr qui venait de tomber. Ils se dévorèrent corps et âmes  cette nuit-là au clair de lune. Emile l’avait conquise depuis longtemps mais il était timide. C’était un beau nègre, musclé, grand et mince. Félicie avait surpris Elisabeth, la sœur du propriétaire,  rougissant et bavant d’envie, fenêtre ouverte à la vue de cet homme qui se lavait tout nu, non loin de sa fenêtre du  premier étage. Emile, en contrebas, s'éclaboussait d’eau près du vétiver. Aucun de ses gestes n’échappait au regard des deux femmes. L’homme qui se croyait à l’abri des yeux indiscrets dévoilait ses atouts de pur-sang ce qui perla le  visage de la blanche mais aussi  celui de la noire

A distance mais à l’unisson, les rythmes cardiaques s’accélérèrent mais Emile se rhabilla. Il ne restait plus qu’un alizé généreux  pour  rafraîchir les corps enflammés. Elisabeth  enfourcha un cheval tandis que Félicie savourait sa victoire. Elle savait qu’elle avait enfin gagné un duel que quarante ans plus tôt elle aurait perdu. Sous le régime de l’esclavage, elle aurait été punie d’avoir convoité le même homme que sa maîtresse et Emile aurait été revendu afin de briser en lui tout espoir d’aimer. Victor Schoelcher avait fait de la  libération des hommes aux cheveux crépus, son cheval de bataille. Le combat qu’il a mené avec d’autres hommes  avait fini  par émouvoir : les esclaves passèrent de l’état de bestiaux à celui d’êtres humains et gagnèrent le droit d'aimer

  Adossée au manguier, Félicie s’était laissé  glisser, en calant ses talons  aux racines de l’arbre fruitier. Emile lui déversa son  torrent  d’amour. C’est ainsi qu’elle conçut PAULINUS. Neuf mois plus tard,  ce vendredi  23  juin, elle ressentait encore ce plaisir intense tandis que son ventre énorme maintenu par un madras commençait à lui peser. 
 
Une  contraction brutale  la rappela à la réalité ; elle allait bientôt cueillir le fruit de ses amours. La journée avait été très dure au champ et sur le chemin du retour, elle prit une pause à l’ombre du manguier, devenu son fidèle confident. Les contractions devinrent plus régulières et violentes. Son ventre se mit à tambouriner comme un  ka en déroute. Elle n’avait plus la force de se déplacer et sa respiration devenait haletante. Le ciel flamboyant au coucher du soleil s’était déjà drapé de multiples étoiles. Elle s’en aperçut alors qu’elle reprenait son souffle. Ce répit n’était que de courte durée ; elle sentit couler lentement sur ses cuisses un liquide tiède. Le moment de la délivrance était sans doute venu : elle n’avait plus le temps de regagner sa case. 

© Août 2011  Alex J. URI Paulinius dit Popo   extraits de la Légende de Popo Torrent. Remerciements à Nelly, sage-femme et infirmière antillaise.



mardi 2 août 2011

Les voies de la créolisation Essai sur Edouard Glissant d'Alain Ménil





Les voies de la créolisation 
 Essai sur Edouard Glissant d'Alain Ménil 




Glissant vu par Alain Ménil

« La pensée de Glissant a essaimé partout dans le monde…. et elle s’ouvre à un futur qui pointe déjà »  Alain Ménil, philosophe  martiniquais

1. Alex J. URI . Vous allez publier bientôt aux éditions De L’incidence, je souligne bien un  essai sur Edouard Glissant, le poète martiniquais décédé le 3 février dernier à Paris. Par son ampleur, c’est un travail conséquent.  Y travaillez-vous depuis longtemps ?

«  Le décès d’Aimé Césaire a fait basculer mon travail dans une tout autre dimension »

Alain Ménil. En un sens, oui, mais initialement, cet essai n’était pas conçu ainsi ; et je ne pensais nullement, en commençant à travailler sur Edouard Glissant, aboutir à ce résultat. Il portait uniquement sur la notion de créolisation dans l’œuvre de Glissant. Je l’avais commencé en 2007 et je pensais que ce livre resterait dans des dimensions plus modestes. Si je veux être absolument sincère, ce livre tel qu’il se présente aujourd’hui n’a pas été prémédité. Le point de départ était une journée d’études que l’on m’avait demandé d’organiser à l’INHA en janvier 2006, et qui portait sur les relations entre Glissant et les artistes qui l’avaient inspiré, et l’influence que sa pensée exerçait sur les créateurs d’aujourd’hui.
Ce qui a fait basculer ce travail dans une tout autre dimension tient aux circonstances qui ont suivi le décès d’Aimé Césaire. L’ampleur des réactions suscitées par sa disparition, la mauvaise conscience exprimée involontairement par la classe politique française, et en même temps, l’enfouissement sitôt la page des obsèques tournée des intentions momentanément affichées sur l’enseignement de la mémoire de l’esclavage, sur l’intégration de l’œuvre de Césaire aux programmes nationaux, etc, tout ce folklore électoraliste et sentimental nous montrait exemplairement un point toujours non résolu de l’histoire et de la politique françaises : son histoire coloniale. On en avait bien eu une idée avec le fameux discours de Nicolas Sarkozy à Dakar, mais là, on ne pouvait pas se contenter d’y voir un travers de la diplomatie française en Afrique, ou les crispations d’un camp politique. Ce point aveugle qu’est l’histoire coloniale demande à être interrogé, et ce ne sont pas quelques commémorations, ou journées spéciales comme celle de l’abolition de l’esclavage, qui nous dispenseront de ce travail. D’où une refonte de mon propos, en tentant de voir comment la pensée de Glissant nous donnait les moyens de répondre aux questions d’aujourd’hui. Le fait que sa pensée ait essaimé un peu partout dans le monde, et qu’il soit si souvent cité et discuté par les spécialistes des études postcoloniales était pour moi un appui évident : cette pensée ne concerne pas un passé spécifique mais elle s’ouvre au futur qui pointe déjà.



Photo Alain Ménil by Steeve Bauras


« la cartographie des expulsions et des exclusions en France coïncide avec celle de l’Empire colonial »


2. Alex J. Uri . A l’évidence quand on vous lit, on a l’impression d’avoir un livre qui ne porte pas seulement sur Glissant mais qui explore également  l’histoire antillaise,  la question noire, le passif colonial, somme toute , un livre qui porte aussi sur notre temps.

Alain Ménil .Exactement. Pour de multiples raisons, j’ai dû me résoudre à l’évidence, que cette histoire est très mal connue, et fort peu pensée, du moins en France.  Il y avait donc une double nécessité – de réinscrire l’œuvre de Glissant dans son contexte, pour comprendre ses écarts, comme ses avancées, mais aussi d’expliciter un certain nombre de données liées à cette histoire coloniale. En ce sens, Glissant, tout en ayant entretenu un dialogue serré avec ses prédécesseurs, comme Césaire ou Fanon, en est aussi le prolongateur – il est traversé par les mêmes questions, même s’il apporte des réponses différentes. Mais comme il ne part pas de rien, il fallait reprendre la problématique de l’émancipation intellectuelle telle qu’elle se formule avec les premiers rédacteurs de Légitime défense, puis de Tropiques, mais aussi songer que ce mouvement avait des correspondances ailleurs, notamment aux Etats-Unis, avec la Harlem renaissance. Retrouver le continuum de cette histoire intellectuelle et politique était une gageure, mais il fallait tenter de le faire, pour ne pas réduire la pensée de Glissant à un processus local, dont la valeur ne pourrait dépasser la situation antillaise, ou historiquement daté (et donc, qu’on pourrait régler rapidement en disant que c’est dépassé).
Un autre souci était lié à l’évolution de la politique intérieure française. Les déclarations faites à l’égard des étrangers, les reconduites forcées à la frontière ne sont pas réductibles à une xénophobie abstraite, mais sont constamment innervées par des représentations liées à l’histoire coloniale. Le rapport que la France et plus généralement, l’Europe entretient avec le reste du monde ne peut se comprendre pleinement si l’on omet la persistance en creux de cette histoire coloniale ; tous les étrangers ne sont pas également visés, et certains subissent plus que d’autres le soupçon d’être indésirables. Curieusement, la cartographie des expulsions et des exclusions en France coïncide avec celle de l’Empire colonial, et ce sont principalement les ressortissants africains qui sont visés. Dans cette histoire-là, le rapport de suspicion maintenu redouble d’anciennes pratiques politiques qui allaient de l’interdiction de séjour des esclaves en terre française, à l’empêchement de sceller des unions légitimes entre des personnes de races différentes. Bref, entre la situation contemporaine et le passé colonial des analogies se révèlent parfois saisissantes – et l’on peut comprendre alors comment ces questions n’étaient pas indifférentes à Glissant ni au lecteur de Glissant que j’étais. C’est pourquoi il m’a fallu à la fois relire des textes qui remontent au XVII° ou au XVIII° siècles, et les relier à notre présent, parce qu’il s’agissait de comprendre les effets de cette histoire ou traquer les signes de sa persistance, tout en conservant mon approche proprement philosophique.


« Son idée de créolisation est riche de potentialités multiples »

3. Alex J . Uri . Vous affirmez en effet vouloir lire comme un philosophe la pensée de Glissant. Est-ce pour cette raison que vous ne parlez que des essais ?

Alain Ménil.Non, mais ce sont des raisons à la fois d’économie, et de rigueur : introduire les romans posait trop de problèmes méthodologiques, et cela allait encore aggraver ma situation en allongeant le texte. Mais surtout, je voulais voir jusqu’à quel point la notion de créolisation nous permettait de penser non seulement ce qui a eu lieu dans la formation des Antilles et de l’Amérique, mais aussi, à cause du développement que Glissant imprime à cette notion, voir en quoi elle peut nous éclairer et nous être utile pour affronter notre temps. C’est là où je trouve que la pensée de Glissant n’est pas seulement dirigée en vue d’un procès de connaissance relatif à un donné historique précis, mais qu’il emporte avec lui une « vision », une vision du monde si l’on veut, et qui nous permet de regarder le présent et l’avenir qui se profile, autrement qu’avec des œillères nationalistes et chauvines. En tous cas, l’écho que suscite dans notre époque son idée de créolisation montre que ce thème est riche de potentialités multiples. Il est normal que la pensée contemporaine s’en empare, comme elle s’est emparée de cet autre concept, celui de Tout-monde ; il est donc légitime de vouloir faire retour sur la genèse de cette notion, son déploiement dans une œuvre qui, ne l’oublions pas, s’étend sur plus de cinquante ans. Il est donc normal d’y repérer des évolutions, des infléchissements, des tournants. Pour ma part, j’ai préféré lire attentivement et patiemment cette œuvre, plutôt que de la résumer en slogans, comme si elle apportait des réponses définitives. Je l’ai lue comme une œuvre de pensée qui interroge la pensée, et attend qu’on la prolonge de nos propres questionnements.

« Esquiver le rapport personnel que j’entretiens avec cette histoire eût été alors une coquetterie inutile »

4.Alex J . Uri. Dans votre ouvrage, il existe des passerelles entre  l’analyse que l’on pourrait dire objective (sur l’œuvre de Glissant, sur l’histoire passée ou récente, les questions politiques, etc.) et des interrogations plus personnelles, qui découlent de  votre itinéraire ?. Pouvez-vous en dire plus ?

Alain Ménil.Bien que cela soit peu fréquent, dans le cadre d’un travail qui obéit pour l’essentiel aux exigences académiques du travail intellectuel, il m’est apparu impossible de faire l’économie de cette dimension personnelle de l’analyse, dans la mesure où cette histoire – celle des Antilles – fait partie de mon histoire intime. Et comme je m’intéressais aussi aux conditions intellectuelles d’une émancipation politique qui ne se limite ni à l’abolition de l’esclavage ni à l’octroi du suffrage universel, je croisais des textes et des auteurs qui auront notablement influencé cet univers. Il se trouve que parmi ces auteurs, il y a René Ménil, qui est mon grand-oncle. Ne pas le citer est impossible. Esquiver le rapport personnel que j’entretiens avec cette histoire eût été alors une coquetterie inutile. Mais cette analyse personnelle n’est en rien une autobiographie, ou un prétexte anecdotique ; mais il était intellectuellement indispensable de procéder à ce travail, si je voulais échapper aux certitudes rassurantes qui s’appuient sur des clichés et des idées reçues. Je crois que les analyses relatives à la question du métissage – qu’il soit physique ou culturel - doivent quelque chose à ce que ma propre expérience m’a enseigné. Et puis, c’était aussi une façon de rappeler que les sociétés antillaises sont complexes, qu’elles ne sont pas réductibles aux images toutes faites que les amateurs d’exotisme révèrent. Enfin, c’était l’occasion d’évoquer des événements peu connus, parce que consciencieusement effacés de la mémoire nationale, et qu’on redécouvre chaque fois qu’éclate une crise sociale comme en 2009. Mais comme ce n’est jamais suivi du moindre travail, on se rendort, jusqu’à la prochaine explosion. C’est pourquoi j’ai cherché des documents photographiques qui pouvaient porter trace de certaines de ces pages. Dans cette mesure, la part proprement personnelle de l’analyse participait de cet effort d’anamnèse afin conjurer les effets habituels de la cécité et de l’aveuglement.
 
Propos recueillis par Alex J. URI , rédacteur en chef,   direction de l'information  régionale à France Télévidions le 31 juillet 2011  à Paris.
 Les voies de la créolisation  Essai  sur Edouard Glissant   Alain Ménil  De l'Incidence Editeur
http://www.r-diffusion.org/index.php?ouvrage=INC-15



pHOTO BY mARIE-Claude EUDARIC




Le Point.fr - Publié le 03/02/2011 à 18:59 - Modifié le 04/02/2011 à 10:25
Vos commentaires sur :
La mort d'Édouard Glissant



Alex J. URI le 05/02/2011 à 16:24
Glissant universel
L’Outre-mer français perd un de ses plus grands écrivains de renommée mondiale. Édouard Glissant nous laisse une œuvre monumentale à explorer et à méditer. Il a prêché la tolérance des différences et, avec sa théorie du « Tout-monde », a contribué à rendre universelles les cultures et les populations du monde noir. Au moment où aux États-Unis, on célèbre les défenseurs des droits civiques, nous devons rendre hommage à celui qui n’a pas manqué de dénoncer l’esclavage et ses séquelles, le colonialisme et ses effets pervers.



Biographie Alain Ménil
Comme beaucoup d’originaires français d’Outre-mer, Alain Ménil a partagé son enfance entre la Martinique, où il est né, et l’Hexagone. Après le lycée Schœlcher, il est admis au lycée Louis-le-Grand puis à l’Ecole Normale Supérieure. Agrégé de philosophie, il enseigne en classes préparatoires au Lycée Condorcet. Auteur de nombreux articles sur Gilles Deleuze, le cinéma et le théâtre, il a également publié L’Ecran du temps (P.U.L.), Diderot. Théâtre et politique (Philosophies, P.U.F.), Diderot et le théâtre (2 volumes ; Presses Pocket Classiques), Sain[t]s et saufs - Sida, une épidémie de l’interprétation (Belles Lettres). A propos d’Edouard Glissant, il publie en 2009 « La créolisation. Un nouveau paradigme pour penser l’identité ? » (in Rue Descartes n°66, Changer d’identité), et « La créolisation à l’épreuve du métissage » (in Une journée avec Edouard Glissant, Association lacanienne internationale). Il participe au numéro que Les Temps modernes ont consacré récemment à la crise sociale de 2009 à la Guadeloupe et à la Martinique avec un article sur Denise Colomb et Michel Leiris. Collaborateur de la revue haïtienne Chemins critiques, il est également membre du comité de rédaction de la revue guadeloupéenne Dérades.