Non loin de là, assis sous un manguier, un vieil homme longiligne d’un noir d’ébène, la tête et la barbe blanche laissa échapper de sa pipe quelques volutes de fumée. Il avait tant vu, tant entendu, tant souffert. Ce bruit là le renvoya à Ouidah, au royaume du Dahomey ce merveilleux pays qui sombra dans la traite négrière. Les chefs des tribus vendaient les esclaves contre si peu de choses et entre autres du tabac ;Pour prendre possession des habitants ils leur imposaient le rituel qui protégeait ces chefs vénaux contre les esprits d’ éventuels revenants revenant faire justice .
Il fallait aussi effacer de la mémoire des esclaves vendus, le souvenir des lieux de leur enfance, les traces mêmes de leur histoire personnelle. Toute la nuit, on leur faisait suivre un itinéraire fléché, ponctué de rites magiquesautour d’arbres magiques avant de les remettre aux pirates. La longue marche qui les menait au village de Zounbogi, où étaient parqués les nouveaux esclaves comme du bétail jusqu’à l’arbre de l’oubli était un calvaire. C’est autour de cet arbre gigantesque qu’ils devaient tourner après avoir été drogués neuf fois pour les femmes et sept pour les hommes. A deux kilomètres de là, les pirogues attendaient pour emmener les pauvres ères et leurs enfants, triés et vendus aux enchères comme des bêtes.
Tout ne se passait pas comme prévu de la plage au navire. Des esclaves enchaînés préféraient la liberté à la déportation au fond de la cale d’un navire. Ils se suicidaient en mangeant le sable de la plage ou en s’ouvrant les veines à l’aide de leurs chaînes. Les plus rebelles et les moribonds étaient exécutés par les négriers. L’eau vert émeraude de la baie absorbait comme une sangsue vorace le sang qui se vidait des corps doucement ballottés par les vagues.
Longtemps, des âmes errantes et vengeresses par millions vagabonderaient de l’Afrique aux Antilles et se réincarneraient là où se trouvaient des enfants d’esclaves pour rappeler les exactions commises durant la traite des nègres. Le vieil homme continuait de pleurer sur les âmes sans tombe et les violences reproduites encore et encore dans un enfer qui ne s’arrêterait que lorsque cette vérité là serait enfin proclamée.
Le vieil homme perdu dans ses pensées n’entendait même pas le vacarme qui horrifiait la petite Valérie et qui pourtant emplissait tout l’espace.Ce bruit là se voulait extraordinaire. il avait envahi l’atmosphère même la case avait ressenti le souffle d’une explosion à mille lieues des collines arrondies des hauts de Zhabitants. Les cafards rampants et volants étaient cloués au sol. Les coqs et les poules poussaient des cocoricos agacés. Les chevaux et mulets s’énervaient dans l’enclos. Quelques calebasses s’abattirent sur le sol. Les fruits trop mûrs de l’arbre à pain se détachaient des branches pour exploser par terre. Les champs de canne à sucre se mirent à trépigner. Les bananiers, fragiles au moindre coup de vent, perdirent brutalement leurs feuilles en éventail.
Soudain, à l’horizon, s’illumina le ciel bleu nuit. Une étoile immense jaillit telun feu d’artifice. Une chevelure de feu accompagna sa chute. La mer comme un miroir éclaira les hauteurs. Une lumièreartificielle rendit la vie à toute la région plongée dans la pénombre. Des travailleurs et leurs femmes en haillons criaient et pleuraient près des buissons de vétiver. Une procession aux flambeaux s’improvisa. Des négresses à genoux imploraient la terre et les cieux. Des ouvriers furieux brandissaient leurs machettes. A la file indienne, grands et petits se dirigèrent vers le bourg. Les géreurs sentaient la rébellion. Dans les hauteurs, des flammes se répandaient et des demeures coloniales étaient en feu.
Un « cékilè »,messager à cheval traversa au galop toutes les habitations en péril. Il s’arrêtait haletant pour crier : « Popo est mort ! Popo est mort ! Ils ont tué notre vaillant Popo!»
Dans l'affolement général, cette annonce fixa les visages dans la stupeur. La mort de Paulinus, conféra au descendant d'esclave la stature de héros . IL resta présent dans la mémoire des habitants des plantations et y prit une dimension mystique. Sa mort devint une affaire d’Etat et ceux qui avaient participé à son assassinat eurent, dit-on, une bien triste destinée.
Dix ans plus tard, un cyclone meurtrier s’abattit sur l’île et ravagea la région des Zhabitants qui ne se remit jamais vraiment de la catastrophe.
La chute de l’étoile de POPO aurait été selon certains le signe avant-coureur de bouleversements dans la vie des Amériques et celle des pays qui avaient organisé la traite des noirs un demi-siècle plus tôt.
L'âme de Paulinus continua-t-elle à errer dans la plantation ? Nul ne pouvait l'attester mais la légende de Popo, l'enfant nègre devenu rebelle se colporta peu à peu dans la mémoire collective. Un épisode transformé en lambeau d'une histoire douloureuse, mouillé de pleurs trop hâtivement séchés, entouré de deuils jamais consolés, d'un esclave mort toujours debout en sueur. A se demander s'ils avaient un passé, des racines, des noms autres que ceux du calendrier.
La vie de Popo illustra le passé collectif de peuples déchirés, métissés qui avaient traversé l'esclavage au-delà de leur vie.Chacun pouvait raconter et transmettre à sa façon la vie de Popo Torrent.
© Août 2011 Alex J. URI la chute d'une étoile (3/3) extraits de " la légende de Popo Torrent"
La mort d'un être laisse toujours des traces indélébiles; je comprends pourquoi ce titre :" la chute d'une étoile". Bien des bouleversements reviennent à l'esprit ; enfin très beau. Nanadydy
RépondreSupprimerUn retour certain sur l'histoire de cette île papillon à travers cette légende que j'ai hâte de découvrir en entier.Dominique
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