Paulinius dit Popo (2/2)
Elle se rappela les histoires des vielles femmes de l’habitation qui racontaient comment leurs ancêtres africaines mettaient au monde leurs enfants, seules avec l’aide des dieux. Elle s’accroupit et commença à pousser. Soudain, elle eut un moment de panique en pensant aux nombreux bébés morts-nés sur les plantations. Mais en mettant la main sur son pubis, elle sentit poindre des cheveux cotonneux et humides et fut gagnée par un réflexe de survie. Elle poussa encore plus fort et laissa échapper un cri dont la nature fit écho. , Emile qui la recherchait depuis la nuit tombée, s’était fourvoyé dans la montagne où ils allaient tous les deux se baigner dans des sources d’eau.
En regardant la pleine lune, son cœur se mit à palpiter. Félicie devait être en train d’accoucher. Quand il arriva près du manguier, elle avait sectionné le cordon ombilical du nouveau-né. L’accoucheuse marronne de l’habitation qui était restée aux aguets, avait, elle aussi, retrouvé Félicie. Elle improvisa une salle de travail avec des feuilles de madère et de bananier qu‘elle recouvrit de draps usagés. Emile fut prié de s’éloigner et d’allumer un feu pour faire bouillir l’eau. Elle lava le bébé qui pleurait en gigotant et lui désinfecta le nombril avec une potion alcoolisée de sa composition. Bientôt, Félicie fut délivrée du placenta que l’on garda précieusement en guise de talisman. Emile prit son fils dans ses bras et lui souffla son nom, Paulinius à l’oreille. C’était une coutume caraïbe qui devait le protéger des mauvais esprits et il le présenta aux étoiles en récitant des prières en langue africaine.
Maison des esclaves
Emile n’avait pas connu la traite des esclaves mais il en avait subi les séquelles. C’était un homme libre mais toujours astreintaux mêmes conditions de vie. Après vingt cinq ans de travail, il ne possédait qu’une case en bois tressé, colmatée de torchis. Son mobilier se réduisait à une petite table, un vieux pot de sucrerie pour conserver son eau, un gros coui pour recueillir l’eau de la rivière. Quelques roches disposées en triangle lui permettaient de faire un feu. Ses ustensiles de cuisine se résumaient à un pot en fer blanc, une petite soupière, une cruche en terre et un sac en latanier pour presser la farine. Il dormait presque à même le sol, sur des feuilles de bananier,étalées sur quelques planches montées sur quatre pierres:un lit de fortune.
Paulinius ne devait plus connaître le même sort et son père souhaitait pour lui une vie de liberté mais surtout de dignité. Cet enfant représentait le souffle du changement. Emile admirait ce beau bébé aux yeux vifs et aux réflexes pleins de vigueur, accroché au sein de sa mère. Félicie l’embrassa et lui rappela qu’il fallait enterrer le nombril de Paulinius au pied du manguier qui désormais faisait partie de la famille.
Le samedi 1er juillet 1882, Emile et Félicie se réveillèrent au chant du coq pour se rendre à la mairie du Baillif. Venir des hauteurs bourg, pour accomplir des formalités administratives ou se rendre à la messe, relevait d’une véritable entreprise pour des gens de conditions misérables mais qui avaient une grande fierté de leur paraître. Ils avaient dû quitter la plantation la veille et marcher des kilomètres interminables, parfois pieds nus, à travers des sentiers rocheux que les orteils redoutaient. Félicie à dos de mulet avait fait le trajet sans trop d’encombres tandis que Paulinius somnolait paisiblement dans un panier d’osier. La petite famille ainsi que des cousins et des voisins, avaient passé la nuit dans une petite hutte, proche de la maison communale. L’angoisse de rencontrer les officiels de la mairie les perturbait. C’était pour eux un examen oral et écrit auquel ils n’étaient pas préparés.
Le jour commençait à poindre sur la plage. Chacun mangea un tronçon de canne à sucre qui servait de brosse à dent écologique. La mer apparut telle une baignoire immense ; tout le monde s’y jeta pour prendre un bon bain avec rinçage à l’eau de pluie. Emile portait une chemise et un caleçon de couleur avec un chapeau de paille. Félicie avait,elle, une chemise blanche et un foulard de madras noué autour de la taille tranchait sur la jupe. Un foulard lui couronnant la tête cachait sa chevelure courte, épaisse et cotonneuse d’où émergeaient quelques duvets soyeuxtapissant sa nuque et ses tempes jusqu’aux oreilles. Elle marchait en berçant dans les bras son fils Paulinius, vêtu d ‘une casaque et d’un bonnet bleu ciel.
Dès huit heures, le petit cortège se dirigea vers la mairie. A l’entrée, Emile tétanisé montra l’enfant à l’adjoint au maire Charles Aubly officier d’Etatcivil qui comprit qu’il s’agissait de dresser l’acte de naissance. Emile TORRENT reconnut officiellement son fils Paulinus né de Félicie HATCHE, en présence de deux témoins qu’ils avaient choisis, un cultivateur de Baillif et un commerçant de Capesterre de Guadeloupe. L’acte fut établi et signé par les témoins. On en donna lecture aux deux parents qui ne savaient ni lire ni écrire. Ils poussèrent un soupir de soulagement à leur sortie de la mairie et se rendirent à l’église pour organiser le baptême de Paulinius.
© Août 2011 Alex J. URI Paulinius dit Popo extraits de la Légende de Popo Torrent.
Alex J. URI, Audrey et Cynthia Phibel (de Vieux-Habitants)
la naissance de Paulinuis est vraiment une bénédiction du ciel à cette époque. Tout ce qui entoure cette naissance est décrit dans les moindres détails, mais avec tant d'émotions; quel parcours du combattant, que la déclaration de leur fruit d'amour . Bel extrait Alex .
RépondreSupprimerNanadydy