By Alex J.URI
Feuilleton été 2012/Episode 30
Elisabeth s’était repliée dans la
banlieue parisienne comme beaucoup d’originaires d’Outre-mer au moment même où la guerre d’Algérie était
devenue un conflit sanglant. La conquête de l’indépendance demandait de la
détermination et du sacrifice. Sur le plan personnel, Elisabeth était prête en payer le prix pour se libérer d’une
relation qui l’emprisonnait. AJU
« La nouvelle vie d’Elisabeth »
Elisabeth était marquée dans sa chair
et dans son âme par le scandale que sa
liaison adultérine avec un notable de sa
bourgade avait provoqué. Elle collait même à l’actualité qui empoisonnait la vie de tous les jours à Paris
depuis huit ans. En mars 1962, son état
d’esprit correspondait un peu à celui de
cette Algérie déboussolée qui
sortait d’un conflit sanglant. Elle
aussi avait perdu du sang et des enfants mais à cause des avortements causés par le Dr
SAM
ARI. C’était aussi une guerre, déclarée dans le secret, pour prendre à sa
cousine un bonheur qu’elle convoitait. Elle se retrouvait comme et avec les Pieds
noirs qui avaient fui un pays qu’ils aimaient, parce qu’ils n’avaient pas le
choix. Dans le même temps, comme les Algériens en quête de liberté, elle
éprouvait les douleurs et les plaisirs de l’indépendance.
Elisabeth était arrivée en France avec un moral au plus
bas. La morosité la rongeait. Elle ressassait sa décision d’avoir quitté amant et enfant. A la manière des
partisans de la libération d’un pays, elle avait longuement mûri sa stratégie
face à celui qui la colonisait. Elle avait même différé de semaine en semaine l’assaut,
avant de passer à l’offensive. Départ
irrévocable. Elle avait fait sauter les ponts qui la reliaient à l’influence
possessive du Dr SAMARI. Du même coup, elle avait coupé le cordon ombilical qui l’attachait à
sa terre natale. Il lui fallait gérer à
la fois la rupture avec celui qui avait la clé de ses entrailles, le serrurier des
portes aujourd’hui fermées de sa
jouissance. La rupture avait aussi
enfanté une autre séparation qui lui donnait parfois un sacré mal de tête. En
effet, penser à son ange créole lui rappelait la tentation de ce démon qu’elle
aimait tant. Elisabeth ne comprenait toujours pas quelle alchimie incontrôlable
avait transformé son plaisir amoureux en déshonneur. L’amour du Docteur SAMARI
l’avait grisé et les moments passés avec
lui se fixaient dans les décors d’un monde paradisiaque. Pourtant, son rêve
avait les limites que lui imposait la réalité. La rupture s’accompagnait alors d’un
héritage qui avait un visage, celui de la petite Teresa. Blanche créole, elle
revenait sur des terres qui avaient engendré d’autres ruptures avec ses parents. Elisabeth se sentait ainsi comme une
belle étoffe souillée qui se déchirait et dont les morceaux, livrés au vent,
s’éparpillaient dans la fraîcheur d’un printemps, subissant l’hypocrisie d’un
rayon de soleil. La France sans l’Algérie devait s’adapter et Elisabeth sans
les Antilles-Guyane avait migré comme beaucoup d’Antillaises des années
soixante. Elle devait « s’acclimater ».La France sans le soleil des
tropiques était devenue ou perçue pour beaucoup comme une terre de
promotion et d’ascension sociale. Elisabeth,
propulsée dans la découverte d'une nouvelle vie, habitait chez sa sœur dans la
banlieue sud de Paris et y avait trouvé un emploi. Elle pensait bien sûr à
TERESA, caressait même l’idée de la faire venir, mais la vie dans l'hexagone
n'était pas facile, surtout pour y élever un enfant, seule. Alors les
jours passaient, les mois et les années
aussi.
Le silence de sa maman commençait à peser et elle s’était résignée au bourdonnement de
Man ROSITA. Cette nourrice était un véritable
essaim d’abeilles et Teresa lui servait de ruche. Les activités de Man ROSITA
dépassaient allègrement la mission qu’on lui avait confiée. Les nouvelles de
Teresa qui parvenaient à Elisabeth n’étaient
pas toujours rassurantes quoique folkloriques. Elle avait
appris ainsi par sa
sœur dans l’île de Madinina qu’on avait « découvert » Man ROSITA
dans des « séances de sorcellerie ». Alors qu'elle était en vacances avec Teresa dans la famille
d’Elisabeth, Man ROSITA s’était
livrée sans aucune crainte à une activité polyvalente et multiculturelle
relevant du sorcier en herbe, de
l’apprenti guérisseur et du prêtre exorciste. Man ROSITA en sueur fut
surprise en train de faire des incantations autour de Teresa, elle même couchée
sur un lit entouré de bougies. Man Rosita prétexta avoir trouvé une manière de
soigner les crises d'asthme que Térésa faisait régulièrement, sans se préoccuper, à l’évidence, du fait que
sa démonstration incantatoire et carnavalesque ne lui épargnait en rien un
incendie infernal dans la case en tôle.
Miracle, une main divine avait tout éteint. Dieu en profita pour extraire
Teresa des mains de Man ROSITA
visiblement en transes. Elisabeth
demanda de lui renvoyer sa fille âgée de six ans. Le bonheur avait frappé à sa
porte. Il s’appelait Théophile de TRINIDAD.
©2012 Alex J. URI
Alexander de Guadeloupe et Teresa
de Trinidad
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