Alexander de Guadeloupe et Teresa de
Trinidad
By Alex J. URI
Feuilleton été 2012/Episode 29
« Les lieux de mon père »
L’adultère mis au grand jour, Docteur
SAMARI ne quitta ni femme, ni
enfants et on ne l’apercevait, pendant un certain temps,
que grâce à un rayon de lune inattendu et cafardeur autour de son domicile.
Quand à la malheureuse Elisabeth, elle s’était envolée vers d’autres horizons
en France. Elle confia la destinée de la petite Teresa âgée de 3 ans, à sa
nourrice Man ROSITA. La vieille fille de 40 ans ne manqua de donner un certain
éclat à la mission dont elle avait était
investie. Elle était bien décidée à multiplier les tentatives pour briser le
foyer du Docteur SAMARI et de faire revenir Elisabeth pour qu’elle devienne le
cas échéant la nouvelle épouse du médecin. Officiellement, en bonne catholique
pratiquante elle se tourna vers
l’église. Au vu des résultats dérisoires à ses yeux, elle s’était abonnée chez
les quimboiseurs. Ainsi le scandale du berceau
fut appelé par les mauvaises langues le berceau du scandale. Dans ce contexte de rumeurs, de
mensonges et de faux-semblants que
Teresa a grandi.AJU
Docteur SAMARI entrait à l’église
comme s’il portait une calotte
sur la tête. Il ressemblait au cardinal sud-africain Desmond Tutu mais
avec les cheveux d’indien et une peau métissée d’Afro-caribéen. Sa femme
blanche créole suffisait à l’absoudre de certains péchés et son porte-monnaie
avait à la fois une dimension érotique pour d’autres femmes créoles et bien
évidemment, humanitaire pour la quête du
dimanche. A première vue, le médecin de la commune était au dessus de tout soupçon pour l’évêque et ses vicaires. On ne le voyait pas souvent au confessionnal
mais il jouait régulièrement à belote avec le curé de la paroisse. Il
s’assurait une bénédiction permanente
lui permettant de chasser les mauvais esprits que lui expédieraient
les « gadè zaffè », les quimboiseurs impénitents.
Dans ce paysage, Man Rosita faisait
figure de petite diablesse à contrôler. De toute façon, les prêtres s’en
chargeaient en lui demandant de faire pénitence et neuvaines ce qui devait
occuper son temps. Cependant la malheureuse
se faisait une idée bien différente de la mission salvatrice et par
conséquent, sanctifiante qui consistait à s’occuper de la bâtarde du Docteur SAMARI.
En effet, elle estimait devoir être bénie de Dieu pour avoir accepté de s’occuper de
Teresa. La petite Teresa n’avait plus de famille. Son père représentait tout juste un géniteur, abusant d’un certain narcissisme phallique et sa
mère, désespérée de son statut de maîtresse, avait mis les voiles.
Man ROSITA faisait de son mieux pour prodiguer de bons soins à Teresa. Elle
entendait lui construire une
éducation de classe et de race vu
le rang de ses parents dans cette
société parfumée de néocolonialisme bon enfant.
Cependant ROSITA cumulait les handicaps : vielle fille de quarante
ans , nourrice pleine de bon sens mais de compétence limitée pour cette ambitieuse prise en charge, commère invétérée dans le
prolétariat et complexée par sa
négritude, à ses yeux, sans appel.
ROSITA, habituée aux travaux de la plantation, avait de la résistance et
de la fierté. Elle était de ceux qui répétaient comme une litanie que les nègres devaient se débarrasser de leurs
vielles chaussures. Elle prenait très au sérieux son rôle de mère de
substitution .Il lui arrivait même de proposer le sein à l'enfant, alors même
que Teresa avait été sevrée depuis les
calendes grecques. C’était désespérant
mais ô combien émouvant. Teresa avait un père et une mère inaccessibles au
quotidien mais aussi une nourrice dépassée par les événements. Elle espérait
probablement compenser un éventuel manque chez la petite tout en
comblant un désir de maternité qui devait la tenailler.
Alors, ROSITA d’abord hésitante, a
décidé d’affronter les regards car le
scandale autour du berceau illégitime avait marqué les esprits. L’homme de la
rue s’octroyait un plaisir de voir à
quoi ressemblait le fruit des ébats interdits entre Elisabeth de LASSO et le Docteur SAMARI . La
nourrice avait donc quitté son air de religieuse pour une démarche d’esclave libérée. Elle
affichait sa fierté de "descendre" la rue principale de
la commune les jours de grand marché, la petite Térésa à son bras chaussée de
souliers vernis et vêtue de taffetas. A leur passage, les regards les plus
inquisiteurs se détournaient mais dès qu'elles avaient le dos tourné les
langues se déliaient. ROSITA faisait la une de la chronique scandaleuse. Ainsi
Le "cancan" du jour tournait autour des frasques de la famille SAMARI. Man Rosita n'en avait
que faire, ses chevilles ne "désenflaient" pas, tant c'était pour
elle un honneur et un privilège d'avoir la garde de la fille de Docteur SAMARI.
Elle pavoisait parce qu’elle allait enfin pouvoir négocier en tête à tête avec le
docteur qui avait tout intérêt à bien se tenir.
Docteur SAMARI semblait tout de même
affecté par le départ de sa maîtresse.
Il devait redorer discrètement son blason
en jouant au géniteur
repenti. Il se rendait disponible à la demande de Man ROSITA et
supervisait l’emploi de sa fille Teresa.
Ainsi la semaine de Térésa était rythmée par une messe quotidienne à
5 heures et une distraction hebdomadaire : la
"sacro-sainte" promenade du dimanche en automobile, avec son
père. Sans jamais y déroger, ce dernier passait la chercher ce jour là, à 10h
sonnantes, avec un pain aux raisins.
Le moment choisi par Docteur SAMARI
correspondait à celui de la messe dominicale qui rassemblait toute la
bourgeoisie de la paroisse, assise aux premiers rangs. Notre honorable médecin
prenait toutes les garanties pour éviter
rencontre compromettante .Il empruntait alors les routes désertées de la campagne.
L'itinéraire rigoureusement immuable. Teresa s’en souvenait
encore bien des années après. Ce
rituel se terminait par le petit punch
(sirop de canne, rhum et citron vert) qu'il prenait le temps de siroter avec
Man Rosita. Cette dernière en profitait pour
lui faire le compte-rendu de la semaine, mais surtout la liste de ses
nécessités qui s’allongeait. L'enfant
grandissait... autant que ses besoins et ceux du "quimboiseur" qui en
demandait toujours plus. Dr SAMARI faisait preuve de générosité. L'esprit apaisé et la conscience tranquille,
il pouvait ainsi rejoindre sa
famille légitime pour le repas du midi.
2 septembre 2012
©2012 Alex J. URI Alexander de Guadeloupe et Teresa de Trinidad
alexanderetteresa@gmail.com
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