mercredi 6 novembre 2013

"la médaille du déshonneur"2/3

Alexander & Teresa (saison 02) by Alex J. URI


Moi, comme beaucoup d’autres jeunes des années 50, je voulais décliner la justice et les droits de l’homme et…du citoyen à toutes les sauces. La période des élections s’accompagnait d’effervescence. J’étais imprégné des principes démocratiques jusqu’au moment où j’avais compris que les morts faisaient souvent la différence, quand la bataille faisait rage et que tout le monde se détestait, sauf à la messe du dimanche. La bénédiction terminée, les commérages reprenaient…et on parlait des défunts qui pourraient accomplir un devoir civique le jour du scrutin.
On les ressuscitait avec leur procuration donnée, bien sûr, avant d’avoir fermé les yeux. Ils votaient pour s’opposer, surtout quand les résultats penchaient en faveur du nègre trop intelligent et trop révolutionnaire. Il fallait garder en place celui qui ne faisait pas trop de vagues et qui était bien vu « là bas ».
Lors de la Toussaint, fête très illuminée avec des bougies, j’allais sur la tombe de ma grand-mère à l’ombre de quelques filaos languissants. Je prenais un tabouret pour m’assoir car nous allions reprendre nos conversations interminables sur la départementalisation. A l’époque, je n’avais jamais bien compris ce que cela représentait, parce que les îles autour de nous n’avaient pas connu ce statut et personne n’en n’était mort. Ma grand-mère et moi, nous avions plus de 75 ans de différence. Pour lui parler, je prenais trois dictionnaires, latin, français, anglais. Elle s’amusait de mes certitudes livresques et elle me disait toujours que de consulter le « dictionnaire qui est en toi » pour comprendre.
Alors, j’ai observé que tous ces grands mots signifiaient qu’on n’allait pas crever sans aller à l’hôpital ou encore qu’on pouvait se rendre à l’école sans que les chiens aboient comme dans le Sud des Etats Unis. J’ai constaté que les élèves « de couleur » pouvaient trouver chaussures à leurs pieds, avoir le tableau d’honneur, être forts en « calcul », recevoir des prix d’excellence, aller à la distribution des prix mais aussi et souvent aller mourir pour la grandeur de la France. Notre cousin Gilbert était parti la fleur au fusil en Algérie et on l’avait ramené couché dans une belle caisse bien vernie avec la légion d’honneur. J’ai cru comprendre qu’il faisait partie des dégâts collatéraux de la décolonisation. Il a tout de même eu des funérailles « nationales » dans la petite commune.
Les filaos chuchotaient dans le cimetière et répandaient les paroles d’un tambour qui s’exprimait de la rivière en contrebas. Je fermai les yeux et je vis Maman Nor, habillée de son costume traditionnel, qui dansait...
AJU

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