lundi 1 août 2011

La chute d'une étoile (1)



La chute d'une étoile (1)


Accoudée sur son lit, Valérie, une vielle Créole de quatre vingt douze  ans  tourne sa tête poivrée vers le jardin luxuriant qui jouxte sa chambre. Ses yeux supplient  sa mémoire défaillante  de revenir. Un sourire d’enfant illumine son visage. Elle se revoit marcher dans le jardin surplombant la vallée. La rivière en contrebas  renvoyait au ciel des reflets argentés, comme si elle voulait avaler les étoiles. 




Ce mercredi 22 juillet 1802 dans la commune de Vieux Habitants au pied du volcan de la Soufrière n’aurait été qu’un jour plutôt ordinaire si toute l’habitation à la Cousinière ne s’était mobilisée pour préparer le bal du  samedi. Valérie, à la peau de cannelle, n’avait alors que sept ans et, comme tous les enfants de son âge, agissait déjà en adulte précoce rompue  aux secrets des travaux domestiques.


Elle préparait des sucres à coco, de douces friandises à base de noix râpée et de sucre de canne. Il y en avait toute une gamme : les sucres à coco haché, les doucelettes, les grabiots,  mais ceux qui séduisaient la vue et le palais de tous s’appelaient les sucres à coco, suaves gourmandises à tête rose. La recette semblait facile à priori ; elle exigeait en réalité un savoir-faire que Valérie n’avait pas encore maîtrisé.

 


Quelques amies lui avaient prêté main forte pour récupérer les noix de coco sèches et les porter jusqu’aux pieds d’un ouvrier qui passait par-là. Il les avait cassées dans un bruit sec de bois éclaté qui se donne. Elles s’étaient ensuite installées dans un mouvement d’étoffes colorées froissées en cercle sur les racines d’un manguier pour « grager » le coco.  Sans balance, Valérie s’efforçait de ses petites mains avec son  sens des poids et mesures de trouver les bonnes proportions entre les  volumes de sucre et ceux de coco. Ses amies ne restèrent pas longtemps à l’aider  car elles devaient aussi vaquer à leurs occupations domestiques et les mener à terme avant  la fin de l’après midi. 

Se retrouvant seule, Valérie pensa à l’ami de son père, l’homme de nulle part qui faisait trembler tous les bandits des hauteurs de Vieux Habitants. Personne, ne savait où il habitait sinon peut-être dans la forêt qui couvrait les pentes vertes et serrées du volcan. On disait qu’il avait le pouvoir magique de devenir invisible sur son cheval, quand des ennemis se lançaient à ses trousses. Les gendarmes qui  le recherchaient, le craignaient :A la lutte, il était invincible. Son coup de bâton foudroyait l’adversaire. Il avait l’art de vous casser les dents supprimant ainsi à jamais votre plaisirde grignoter une canne bien sucrée.
Il avait promis, selon la rumeur qui courrait les bois avoisinants  de venir ce samedi soir au bal et son apparition  comme toujours créerait l’événement inattendu dans la vie locale.

Valérie remuait le sucre ajouté au coco râpé qu’elle avait fait bouillir avec un peu d’eau. Les parfums tropicaux allaient relever  le doux mélange : poudre de cannelle, pelure de citron vert, gousse de vanille, agrémentées d’une larme d’essence d’amandes amères mêlaient déjà leurs parfums.

 Le tout commençait maintenant à coller. La jeune fille mit une partie de cette pâte onctueuse dans un grand coui, bol issu d’une calebasse fendue  . Elle y versa quelques gouttes de carmé et, par osmose, la pâte blanche vira au rose.  Elle étala délicatement sur des feuilles de bananier le reste de le reste de la mixture blanche en petites formes dodues .  Telle une cerise sur le  gâteau, elle déposa une pincée de pâte rose au sommet de chaque tas. Le sucre refroidissait à l’ombre. Il cristallisait doucement.


Valérie rêvait à la vue de cette transformation: la cristallisation des sentiments en amour était-elle semblable à celle du sucre coco à tête rose s’ouvrant peu à peu en fleurs de cristaux de sucre : Ainsi s’éveillait l’amour peut-être ?
Valérie comprit ce que  cela voulait dire aimer quelqu’un, sous les tropiques Elle imaginait l’ombre des fiancés s’éclipsant du bal, le temps de partager ce bonbon rose et de boire le rhum au citron.
Elle ne résista pas à l’envie de déguster ce nouveau fruit né de l’étrange alchimie entre le fruit du cocotier, la canne à sucre et la rose ….l’amour cristallisé aurait-il cette douceur cette impression de bonheur ultime que lui donnait ici la saveur, les parfums, et les douces nuances de cette fleur suave et cristallisée.





Remerciements au regretté Amédée Lancastre et à toute sa famille, aux Habissoises et aux Habissois, à Victorin Lurel et à Ilana Uri
© Août 2011  Alex J. URI   Lachute d'une étoile (1) extraits de " la légende de Popo Torrent"

3 commentaires:

  1. Comme je dis la mémoire c'est quelque chose de particulier; l être humain a une mémoire sélective et là ,cette vieille femme de 92 ans se rappelle d'une histoire tout partciculière colorée de tablettes à têtes roses, tablettes que j ai découverte il y a pas longtemps, la comparaison avec la cristallisation des sentiments est innovante . Nanadydy

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  2. Alex, il faut que je prenne le temps de lire. A bientôt.
    José

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  3. j'ai appris avec stupéfaction que la personne à côté la de la tour n'est autre que mon oncle Amédée Lancastre.C'est un très bel hommage que d'avoir inclus sa photo dans ce blog qui met à l'honneur la légende de Popo Torrent.Dominique

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