lundi 6 octobre 2014

La mort du poète





La mort du poète



« Filaos languissants de la Grande Rivière(1)

Dont le cruel Betsy(2) détruisit la parure.
Babillage d’oiseaux dans la verte clairière.
Beaux jours ensoleillés passés à l’embouchure »EV
Il y avait une foule qui l’entourait, la brise retenait son souffle, les larmes perlaient les visages pendant que le prêtre disait le De profundis , la prière pour la délivrance des âmes. Les filaos en chœur portaient la parole au ciel. Le soleil des tropiques s’était adouci dans l’après-midi. La rivière chuchotait son chagrin en amont comme en aval.
Le pêcheur lui avait réservé son kilo de vivaneau . Avec ce poisson rouge, il faisait un court-bouillon accompagné des légumes du pays . Quand on avait tout cela,avec du piment dans une belle assiette, nous avions toujours l’impression de faire la fête. Il avait l’habitude boire avec nous un punch fait d’un zeste de citron vert, du rhum, du sucre. J’oubliais les accras de morue, le boudin et le colombo de cabri avec le riz blanc mais aussi les haricots rouges.
C’était un joyeux drille et un homme cultivé. Dans la famille, il jouait un peu le rôle d’un officier d’Etat civil et de ce fait, il comprenait bien l’héritage des querelles et les dessous des titres de propriété mais surtout les liens d’amour indéfectibles qui nous unissaient. Il représentait pour nous le cordon ombilical avec sa tante-marraine-maman qu’il aimait tant comme une deuxième mère.
Il avait l’air de faire la sieste dans cercueil pendant la veillée. J’avais un appareil photographique et je lui ai demandé s’il m’autorisait à garder quelques souvenirs de l’ambiance de sa veillée mortuaire. Son visage détendu nous rassura.
Nous l’avons traité comme une star, notre vedette car nous avons récité certains de ces poèmes jusqu’à l’aube. Je continuai le reportage comme si je travaillais pour un journal local. Nous avions, chacun d’entre nous, une anecdote de sa vie à partager.
J’ai compris qu’il n’était plus de notre monde quand je fis à l’église son oraison funèbre. Quand le thuriféraire nous encensa, ce fut difficile de retenir nos larmes.
Puis vint le moment de la rupture. Le poète était arrivé à sa dernière demeure mais il nous avait laissé des alexandrins immortels. 
« Le pays de ma mère et de mes plus beaux jours
si jamais j’y reviens ce sera pour toujours. »EV
De profundis clamavi ad te, Domine, Domine, exaudi vocem meam.



Les rêveries tropicales d’Alexander by Alex J. URI 
Paris le 10 juillet 2014



1) La Grande Rivière à Capesterre Belle-Eau, Guadeloupe
2) Betsy, le cyclone Betsy



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