Alexander et Teresa
Feuilleton été 2012
Episode 18
« Ave Teresa »
Elle respirait la sérénité avec une allure athlétique et un visage rappelant ces beautés du temps des Pharaons. Je la sentais très à l’aise, et même un peu trop, dans l’expression de sa foi et dans le suivi liturgique. D’abord impressionnée par sa connaissance des psaumes, je trouvais qu’elle en faisait un usage excessif mais qui ne me dérangeait pas. J’en profitais pour me mettre à jour. Progressivement, tout ce que j’avais enfoui concernant ma pratique religieuse d’antan remontait à la surface, Pater noster, credo, salve Regina, les classiques, Alléluia, Alléluia.
J’éprouvais un grand plaisir à écouter ce que j’appelais ses « homélies » qu’elle me dispensait de sa berceuse près du manguier. Nous faisions un exercice de sublimation dans un hamac virtuel que nous voudrions partager. Je ne pensais même pas à la possibilité d’atteindre cette proie que, bien évidemment, je désirais. Il me paraissait illusoire de faire comme un chien qui avait réflexe de Pavlov quand on lui montrait un os. Au fond de moi, je croyais que le désir que je manifestais à son endroit était béni.
Je l’écoutais comme un jeune homme bien éduqué, prêt à tous les sacrifices pour un bonheur durable. A l’inverse du mien, son vocabulaire avait plus de racines latines que saxonnes .Il est vrai, j’étais bilingue. Le souci de bien s’exprimer était patent. Une sollicitude pas excessive de la langue mais de facto élitiste. Elle affichait un patchwork harmonieux d’intelligence, de connaissances, d’indépendance d’esprit mais elle restait marquée par quelques réflexes néocoloniaux dans ses repères culturels. Je m’amusais à les identifier et m’adonner au jeu de massacre, ébranlant ce qu’elle appelait ses fondamentaux. J’étais persuadé que nos discussions, si elles étaient filmées et diffusées feraient de l’audience. Elle devait me prendre pour un abruti mécréant quand elle se lançait dans ses développements théologiques et téléologiques. J’étais comme un rocher inondé par sa rivière en crue. J’aimais cela. J’avançais dans ses profondeurs. Elle ne savait pas que mon éducation religieuse avait été structurée et dispensée par des vicaires noirs,deux afro-caribéens, mes « oncles. » A l’évêché, j’étais chez moi, chez Tonton Didro. Je précise, les deux ont été nommés évêques. A partir de ce moment là, je réservais ma confession à mes « oncles », deux noirs qui représentaient l’Eglise universelle ! Quelle fierté ! Je ne me sentais plus en Afrique du Sud quand j’allais à la messe. Bien évidemment, j’imagine que vous avez du mal à me croire. Dans le dictionnaire, cherchez Mgr Siméon OUALLY et Mgr Ernest CABO de Karukera. Oint de la bénédiction, n’hésitons PAS sur le qualificatif « papale » de mes « oncles », je me sentais comme un ange un tantinet provocateur face à belle Teresa.
Je l’avais rencontrée dans une église d’une autre commune que la sienne. Il s’agissait d’un face à face d’une grande intensité. Son regard avait aspiré le mien comme un aimant. J’ai eu la sensation d’être collé à son front avant même de lui serrer la main. Elle avait avec une main très agréable avec des droits allongés de pianiste. Ses mains là, j’imaginais, pouvaient vous faire des caresses dévastatrices. Elle faisait le signe de la croix avec une certaine grâce. Moi, ma génuflexion, quoique soignée, était celle d’un barbare à convertir d’urgence. La messe avait déjà commencé quand nos yeux se ont croisés. Elle m’avait donné des indications précises sur la place qu’elle allait occuper à l’église.
Je lui avais demandé comment elle allait me reconnaître. Réponse incisive m’indiquant que j’étais très présent dans les journaux et qu’en conséquence elle n’aurait aucun mal à m’identifier. J’avais emprunté les allées pour la voir sur différents angles mais j’ai choisi de m’approcher d’elle comme un félin. Légèrement en retrait de l’endroit où elle était assise, je l’observai en silence pendant quelques minutes. Finalement, elle sentit ma présence. Elle se tourna vers moi calmement comme une lionne qui attend, après avoir flairé le tigre.
A la sortie de l’église, je voyais au loin la montagne et cette forêt d’arbres exotiques, de quoi m’inspirer au clair de lune :
La forêt
Sur les cimes ombragées cachant nos caresses,
La pleine lune répand sa douce lueur,
Manteau argenté embellissant la noirceur
D’une nuit tropicale riche de promesses.
Ton feuillage s’expose pour être exploré,
S’offrant à mes sens comme une plante grimpante.
Me voilà prisonnier de tes senteurs rampantes,
Tremblant de découvrir une vierge éplorée.
Ô ma déesse aux multiples bras, tu murmures.
La rivière, autour des branches qui m’emmurent,
Rythme ta forêt humide qui ressent ma chaleur.
Elle évapore la rosée de mots, de rêves
Que mes baisers ont toujours fabriquée sans trêve.
De la brume, tu veux réveiller un bonheur.
(Alex J. URI
6 au 9 avril 2012)
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