mardi 21 août 2012

Alexander et Teresa "Un cercueil à la mairie"

Alexander et Teresa
Feuilleton été 2012
Episode 26
« Un cercueil  à la mairie »




Rebecca et Alexander  ont   vingt  ans quand  ils se rencontrent   au  lycée de Baimbridge  en Karukéra en première année d’université. Rebecca, originaire  d’une île voisine, rend visite à sa grande sœur pour participer à une excursion dans l’île de Marie-Galante. Cette mulâtresse  dont la chevelure noire et frisée ressemble à celle de la mère d’Alexander  va provoquer le coup de foudre. Les regards s’échangent, les cœurs s’accélèrent, les peaux transpirent, les caresses derrière le manguier s’organisent, Ils prennent le temps des baisers.  Cependant ils ne vont pas dépasser ces premiers émois qui bouleversent cœurs et corps. Alexander et Rebecca se revoient vingt ans plus tard et Rebecca se demande si elle n’est pas passée à coté de l’homme de sa vie. Alexander se souvient d’une histoire mystérieuse qui avait marqué l’enfance de Rebecca. Elle n’avait connu son grand-père, un homme politique, qui a emporté dans la tombe son secret.

C’était devenu un livre de famille qu’on ne lisait pas à haute de voix  pour ne pas perturber les enfants et les petits-enfants. Et pourtant, à chaque occasion,  le sujet revenait à la surface comme une bouteille à la mer. Les rumeurs qui enflaient ramenaient en catimini le cadavre  dans les conversations.  Le flux et le reflux de ces vagues de témoignages, de non-dits, de chuchotements et soupirs finissaient en  éclats de voix. Les enfants étaient chassés vers la cour ou la véranda précisément  quand les mots « quimbois » et sortilèges fleurissaient. Il s’agissait « de paroles et des conversations de grandes personnes. » Quand Rebecca posait des questions précises, les réponses impatientes révélaient  une obscure clarté. A l’évidence, tout oscillait entre haine et pardon.

Fallait-il accepter l’irréparable ou fallait-il organiser la vengeance contre ceux qui avaient  commis ou  commandité Le meurtre du « mayor », le maire de la  « townhall »  à la campagne? Le premier magistrat de la commune avait redoré le blason de toute une famille. Grand, bel homme, cheveux noirs et frisés, peau échappée, Danton  gérait avec courage et détermination  ses administrés pendant une période trouble. Il y avait une bande de nervis baptisée « la bande raide » qui régnait en toute impunité sous l’Amiral Reuter. Après le départ de ce dernier, la terreur avait continué  et cette bande faisait la loi : bastonnades, morts suspects, meurtres impunis.  La période de rigueur et de répression imposée par l’Amiral Reuter s’était donc prolongée.  La population devait   encore subir les exactions de  malfrats. Dans cette atmosphère de western, le grand-père paternel de Rebecca agissait comme un sheriff et tentait de combattre les hors la loi. Il avait mis leurs têtes à prix. Il n’avait  pas vu les bandits  mais ils étaient  tout de même arrivés à leurs fins. Après une journée de violentes douleurs au ventre, de vomissements, de vertiges, de contractions, de convulsions, de sueurs froides, Danton  le grand « chabin »avait  rendu  l’âme dans on bureau. Un cercueil aux bonnes dimensions avait été déposé à l’entrée de la  mairie.

 Le médecin  et le commissaire de police de la région  n’ y comprenaient rien du moins en apparence  mais la population avait fait déjà son enquête. Vous aviez alors autant de procès verbaux que d’habitants. La piste privilégiée  conduisait directement au rival politique, son voisin, car il était   membre de  cette fameuse bande. La thèse de l’empoisonnement  ralliait  tous les suffrages mais pendant très longtemps cette affaire bien embrouillée avait occupé les esprits. Qui donc avait administré ce poison là ? Les questions alimentaient d’autres questions.

Le scénario n’avait jamais pu être reconstitué. L’oncle de Rebecca parlait de temps à autre  de la vendetta. Les femmes de la famille, elles,  se tournaient vers Dieu.  Elles pensaient alors comme le pape  Jean Paul 2  qui bien des années après devait s’exprimer sur la question du pardon : « un homme qui pardonne ou qui demande pardon comprend  qu’il y a une vérité plus grande que lui. » La vérité, on ne l’a jamais trouvée.
La grand-mère de Rebecca avait instauré le régime de neuvaines (prières pendant 9 jours) avec pour objectif de demander au Tout Puissant une protection permanente notamment contre un nouveau meurtre. Rebecca avait grandi dans une ambiance  qui vous obligeait à  décoder sans trop parler mais à observer les uns et les autres  dans le moindre détail. Rebecca, sans aucun mot, avait compris ce qui s’était passé et ces événements avaient eu beaucoup plus d’impact sur elle que  l’on ne croyait.

 Elle avait encaissé le traumatisme de ces parents. Alors, elle avait  peur de l’autre, du destin. Alexander incarnait les deux à la fois et il avançait comme un fauve. Il esquissait un sourire  carnassier et regardait  loin devant lui pour évaluer la distance à parcourir .A son regard, elle sentait qu’il était prêt à accélérer surtout si, elle,  la proie était à portée de main et sur son territoire. Comme son grand-père, elle savait résister aux attaques mais elle oubliait qu’on pouvait en payer le prix. Alexander  avait une ténacité mêlée de tendresse. Elle sentait ses narines se  promenant doucement sur le pavillon de son oreille gauche. Alexander maîtrisait vite la géographie  du territoire de Rebecca. Dans un dernier sursaut, Rebecca haletante le repoussait mais il se laissait faire pour revenir à la charge. 

Rebecca illustrait là toute son ambivalence. Elle montait  de la réserve, de  la retenue  mais aussi  la peur de se livrer et de faire confiance aux autres. Dans le même temps, elle faisait preuve d’une certaine candeur, voire de la naïveté. Selon elle, l’homme ne pouvait être mauvais car Dieu par son amour ne pouvait le permettre. Alexander, doté d’une bonne éducation religieuse, adorait ce credo là, un atout inespéré pour convaincre  et apaiser. 

Les parents de Rebecca avaient eux aussi tenté rétablir la paix dans l’environnement de  Rebecca. Son père fonctionnaire et sa mère au foyer avaient fait pour lui offrir une enfance heureuse comme celle d’Alexander. La mère de Rebecca comme celle d’Alexander  vivait aussi de la pâtisserie notamment au moment des fêtes  durant lesquelles  elle devait honorer des commandes  d’autres familles. Tous les dimanches, elle confectionnait   des « gâteaux pistaches » et des «  monts blancs au coco » pour le plus grand bonheur de ses enfants.

 La petite Rebecca, sa sœur et ses frères faisaient exactement comme ceux d’Alexander.  Ils s’installaient autour de la grande table de la  cuisine pour préparer les moules, râper le coco, la cannelle et le citron. C’était  un moment de récréation et d’attention quand il fallait peser la farine ou le sucre.  .Auparavant, les enfants devaient respecter le cérémonial autour  la grande balance Roberval à deux plateaux que l’on descendait pour l’occasion,  avec précaution, de son étagère en bois verni. Alexander n’avait pas  encore pensé à une stratégie des gâteaux pour conquérir Rebecca. Sur les lèvres, il allait essayer un arrière-goût de sucré-salé dans l’île de Marie-Galante.

21 Août 2012



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