Alexander
et Teresa
Feuilleton
été 2012
Episode
26
« Un
cercueil à la mairie »
Rebecca
et Alexander ont vingt
ans quand ils se rencontrent au
lycée de Baimbridge en Karukéra
en première année d’université. Rebecca, originaire d’une île voisine, rend visite à sa grande
sœur pour participer à une excursion dans l’île de Marie-Galante. Cette mulâtresse
dont la chevelure noire et frisée
ressemble à celle de la mère d’Alexander
va provoquer le coup de foudre. Les regards s’échangent, les cœurs
s’accélèrent, les peaux transpirent, les caresses derrière le manguier
s’organisent, Ils prennent le temps des baisers. Cependant ils ne vont pas dépasser ces
premiers émois qui bouleversent cœurs et corps. Alexander et Rebecca se
revoient vingt ans plus tard et Rebecca se demande si elle n’est pas passée à
coté de l’homme de sa vie. Alexander se souvient d’une histoire mystérieuse qui
avait marqué l’enfance de Rebecca. Elle n’avait connu son grand-père, un homme
politique, qui a emporté dans la tombe son secret.
C’était devenu un livre
de famille qu’on ne lisait pas à haute de voix
pour ne pas perturber les enfants et les petits-enfants. Et pourtant, à
chaque occasion, le sujet revenait à la
surface comme une bouteille à la mer. Les rumeurs qui enflaient ramenaient en
catimini le cadavre dans les
conversations. Le flux et le reflux de
ces vagues de témoignages, de non-dits, de chuchotements et soupirs finissaient
en éclats de voix. Les enfants étaient chassés
vers la cour ou la véranda précisément quand
les mots « quimbois » et sortilèges fleurissaient. Il s’agissait
« de paroles et des conversations de grandes personnes. » Quand
Rebecca posait des questions précises, les réponses impatientes révélaient
une obscure clarté. A l’évidence, tout oscillait entre haine et pardon.
Fallait-il accepter
l’irréparable ou fallait-il organiser la vengeance contre ceux qui avaient commis ou
commandité Le meurtre du « mayor », le maire de la « townhall » à la campagne? Le premier magistrat de la
commune avait redoré le blason de toute une famille. Grand, bel homme, cheveux
noirs et frisés, peau échappée, Danton gérait avec courage et détermination ses administrés pendant une période trouble.
Il y avait une bande de nervis baptisée « la bande raide » qui
régnait en toute impunité sous l’Amiral Reuter. Après le départ de ce dernier,
la terreur avait continué et cette bande
faisait la loi : bastonnades, morts suspects, meurtres impunis. La période de rigueur et de répression imposée
par l’Amiral Reuter s’était donc prolongée.
La population devait encore subir les exactions de malfrats. Dans cette atmosphère de western,
le grand-père paternel de Rebecca agissait comme un sheriff et tentait de
combattre les hors la loi. Il avait mis leurs têtes à prix. Il n’avait pas vu les bandits mais ils étaient tout de même arrivés à leurs fins. Après une
journée de violentes douleurs au ventre, de vomissements, de vertiges, de
contractions, de convulsions, de sueurs froides, Danton le grand « chabin »avait rendu
l’âme dans on bureau. Un cercueil aux bonnes dimensions avait été déposé
à l’entrée de la mairie.
Le médecin et le commissaire de police de la région n’ y comprenaient rien du moins en apparence mais la population avait fait déjà son
enquête. Vous aviez alors autant de procès verbaux que d’habitants. La piste
privilégiée conduisait directement au
rival politique, son voisin, car il était
membre de cette fameuse bande. La thèse de
l’empoisonnement ralliait tous les suffrages mais pendant très
longtemps cette affaire bien embrouillée avait occupé les esprits. Qui donc
avait administré ce poison là ? Les questions alimentaient d’autres
questions.
Le scénario n’avait
jamais pu être reconstitué. L’oncle de Rebecca parlait de temps à autre de la vendetta. Les femmes de la famille,
elles, se tournaient vers Dieu. Elles pensaient alors comme le pape Jean Paul 2 qui bien des années après devait s’exprimer sur
la question du pardon : « un homme qui pardonne ou qui demande pardon
comprend qu’il y a une vérité plus
grande que lui. » La vérité, on ne l’a jamais trouvée.
La grand-mère de Rebecca avait instauré le
régime de neuvaines (prières pendant 9 jours) avec pour objectif de demander au
Tout Puissant une protection permanente notamment contre un nouveau meurtre.
Rebecca avait grandi dans une ambiance
qui vous obligeait à décoder sans
trop parler mais à observer les uns et les autres dans le moindre détail. Rebecca, sans aucun
mot, avait compris ce qui s’était passé et ces événements avaient eu beaucoup
plus d’impact sur elle que l’on ne
croyait.
Elle avait encaissé le traumatisme de ces parents. Alors, elle
avait peur de l’autre, du destin.
Alexander incarnait les deux à la fois et il avançait comme un fauve. Il
esquissait un sourire carnassier et
regardait loin devant lui pour évaluer
la distance à parcourir .A son regard, elle sentait qu’il était prêt à
accélérer surtout si, elle, la proie
était à portée de main et sur son territoire. Comme son grand-père, elle savait
résister aux attaques mais elle oubliait qu’on pouvait en payer le prix.
Alexander avait une ténacité mêlée de
tendresse. Elle sentait ses narines se
promenant doucement sur le pavillon de son oreille gauche. Alexander maîtrisait
vite la géographie du territoire de
Rebecca. Dans un dernier sursaut, Rebecca haletante le repoussait mais il se
laissait faire pour revenir à la charge.
Rebecca illustrait là
toute son ambivalence. Elle montait de
la réserve, de la retenue mais aussi
la peur de se livrer et de faire confiance aux autres. Dans le même
temps, elle faisait preuve d’une certaine candeur, voire de la naïveté. Selon
elle, l’homme ne pouvait être mauvais car Dieu par son amour ne pouvait le
permettre. Alexander, doté d’une bonne éducation religieuse, adorait ce credo
là, un atout inespéré pour convaincre et
apaiser.
Les parents de Rebecca avaient eux aussi tenté rétablir la paix dans
l’environnement de Rebecca. Son père
fonctionnaire et sa mère au foyer avaient fait pour lui offrir une enfance
heureuse comme celle d’Alexander. La mère de Rebecca comme celle
d’Alexander vivait aussi de la
pâtisserie notamment au moment des fêtes
durant lesquelles elle devait
honorer des commandes d’autres familles.
Tous les dimanches, elle confectionnait
des « gâteaux pistaches » et des « monts blancs au
coco » pour le plus grand bonheur de ses enfants.
La petite Rebecca, sa
sœur et ses frères faisaient exactement comme ceux d’Alexander. Ils s’installaient autour de la grande table
de la cuisine pour préparer les moules,
râper le coco, la cannelle et le citron. C’était un moment de récréation et d’attention quand
il fallait peser la farine ou le sucre. .Auparavant,
les enfants devaient respecter le cérémonial autour la grande balance Roberval à deux plateaux que
l’on descendait pour l’occasion, avec
précaution, de son étagère en bois verni. Alexander n’avait pas encore pensé à une stratégie des gâteaux pour
conquérir Rebecca. Sur les lèvres, il allait essayer un arrière-goût de
sucré-salé dans l’île de Marie-Galante.
21 Août 2012
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