Alexander et Teresa
Feuilleton été 2012
Episode 22
« Un bonzaï sur sa tombe »
Alexander avait arpenté les allées de plusieurs cimetières de la
banlieue sud de Paris pour
retrouver la tombe de son ami
octogénaire Ousmane. Il aperçut enfin une tombe avec un bonzaï jouxtant celle d’une petite fille morte
quelques jours après sa naissance. Alexander s’agenouilla et récita une prière pour la paix de l’âme de ce soldat méconnu.
C’était pathétique d’entendre un vieux
soldat pleurer. Il s’était pourtant enfermé dans sa chambre. Le
bruit des sanglots m’arrivait comme des vagues qui s’écrasaient inlassablement dans une nuit des Tropiques.
La porte d’entrée toujours fermée était
restée entrouverte. Je me glissai dans le salon prêt à intervenir. J’entendis
le bonhomme en plein soliloque comme
si il marchait sur des cadavres et les
interpellait. Il faisait partie de ses minorités visibles, ô combien visibles
sur les champs de bataille. Il savait ce que signifiait mourir la tête haute pour sortir de
l’esclavage mais aussi de l’indigénat.
Comme les soldats africains et antillais, il n’était
pas allé à la guerre en chantant,
la fleur au fusil, avec un seul objectif, celui que de défendre la « Mère
Patrie ».
La réalité semblait bien
différente. Les troupes noires et de
l’Empire avaient été utilisées sous
couvert de la colonisation et, par conséquent, dans un contexte particulier. L’esclavage
aboli avait fait des habitants des
anciennes colonies des citoyens mais cependant au Code Noir avait succédé le Code de l’indigénat. Ce dernier
code déterminait les conditions de vie de la grande partie de
l’Afrique francophone. Les indigènes étaient des sujets et non des citoyens français. Depuis le décret d’abolition seuls les
originaires des vieilles colonies (Guadeloupe, Martinique, Guyane, Réunion) et
les habitants des quatre communes du Sénégal (Dakar, Rufisque, Saint Louis et
Gorée) étaient des citoyens français sans
pour autant bénéficier d’une totale
égalité par rapport à leurs concitoyens métropolitains.
Dans
le salon, je voulais me faire tout petit
pour ne pas le déranger.
J’imaginais qu’il vivait une forme de somnambulisme. Il déplaçait des
objets, se couchait à même le sol, il
reproduisait des dialogues entre soldats. Je commençais moi-même à avoir peur
de l’ennemi. Je transpirais. Je me
demandais ce que les soldats d’Hitler avaient pu faire à
ces hommes là qu’ils redoutaient. Ils avaient résisté vaillamment ces fameux tirailleurs sénégalais. La dignité
et la liberté, nous, nos parents, nous y avons
beaucoup contribué, alors s’il vous plaît Monsieur le Directeur, vous
refusez au fils d’un fantassin gazé un bureau parce qu’il n’a pas la peau que vous souhaitez et que ce fils de nègre parle trop de
langues. Bien dommage qu’il n’y ait pas
un tribunal international pour ce genre
de délinquance dans les entreprises ! Imbécile ! Clémenceau a
été dithyrambique sur ce que nos parents ont fait pour sauvegarder la dignité bien perdue de votre grand-mère, ce
qui vous permet aujourd’hui de voyager en première classe avec l’argent de l’Etat et d’inviter les belles créoles en leur promettant un
travail . Tiens, j’avais effectué des recherches. Jean Moulin
s’est fait torturé parce qu’il a
refusé de dénoncer les soldats noirs.
Vous, vous êtes récompensé pour mépriser leur progéniture. Cela n’est pas
acceptable.
Dans
cet appartement, j’avais mal au ventre d’écouter la douleur de ce vieux soldat qui avait l’âge de mon père,
si ce dernier avait survécu aux dégâts collatéraux cette sale guerre mais aussi
à cause d’une diarrhée. Bien sûr, j’ai avalé des comprimés avec un effet
bouchon mais j’avais besoin d’un tire-bouchon. Cela allait faire du bruit.
J’oubliais aussi la chasse d’eau et ses applaudissements. Mamadou avait choisi
de vivre pour témoigner comme mon père. Ce dernier avait la poitrine qui
raisonnait comme des percussions
atteintes de quinte de toux. Je me tordais dans le salon. Vous aussi quand vous
allez me lire , je veux vous donner une
indigestion :
« Dans ses carnets et
dans son livre « Premier Combat » Jean Moulin raconte « la monstrueuse
machination » des Allemands visant à attribuer aux tirailleurs sénégalais le
massacre de civils. Après le désastre
des Ardennes et des Flandres, la 8ème divisions d’Infanterie Coloniale composée
du RICM et du 26ème Régiment est dirigée de toute urgence vers l’Est de Paris.
Du 12 au 16 juin 1940, les batailles sont violentes entre Dreux (Eure) et Chartres
(Eure-et-Loir) et dans le triangle formé par Châteauneuf-en-Thymerais,
Maintenon et Saint Germain en Gâtine. L’offensive allemande est meurtrière. Les
deux valeureux régiments sont décimés. Le 26ème Régiment des tirailleurs
sénégalais n’a plus que cinq cents hommes mais il est en ordre de marche. Les
Allemands sont en colère contre ses « nègres » qui résistent. Alors ils les
maltraitent et abattent sans pitié ceux qui sont faits prisonniers. Jean Moulin
est torturé parce qu’il refuse de signer un protocole les accusant des pires
atrocités.
Le maréchal Hindenburg dit de
son côté en parlant de la bataille de Reims du 5 juin 1918 : « … Quand les
ennemis n’avaient pas de chars d’assaut à leur disposition, ils lançaient
contre nous des vagues noires ; ces vagues de troupes pénétraient dans nos
lignes… ces noirs ont été conduits par milliers à l’abattoir ».
Je suis le porte-parole de
ceux qui n’ont pas eu le temps de
parler. Je quittai discrètement l’appartement de Mamadou qui n’a jamais su ce que j’ai entendu. Je
suis fier d’avoir le sang de ces gens-là qui coule dans mes veines.
(Alex J. URI)
16 août 2012
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire