vendredi 17 août 2012

Alexander & Teresa "Un bonsaï sur sa tombe"








Alexander et Teresa

Feuilleton été 2012

Episode 22

« Un bonzaï sur sa tombe »


 Alexander avait arpenté  les allées de plusieurs cimetières de la banlieue sud de Paris pour  retrouver  la tombe de son ami octogénaire Ousmane. Il aperçut enfin une tombe avec un bonzaï  jouxtant celle d’une petite fille morte quelques jours après sa naissance. Alexander s’agenouilla   et récita une prière  pour la paix de l’âme de ce soldat méconnu.


C’était pathétique d’entendre un vieux soldat  pleurer. Il  s’était pourtant enfermé dans sa chambre. Le bruit des sanglots  m’arrivait  comme des vagues qui s’écrasaient  inlassablement dans une nuit des Tropiques. La porte d’entrée toujours fermée  était restée entrouverte. Je me glissai dans le salon prêt à intervenir. J’entendis le bonhomme en plein soliloque  comme si il marchait  sur des cadavres et les interpellait. Il faisait partie de ses minorités visibles, ô combien visibles sur les champs de bataille. Il savait ce que signifiait  mourir la tête haute pour sortir de l’esclavage mais aussi de l’indigénat.

 Comme  les soldats africains et antillais,  il n’était  pas allé  à la guerre en chantant, la fleur au fusil, avec un seul objectif, celui que de défendre la « Mère Patrie ».

La réalité semblait bien différente.  Les troupes noires et de l’Empire avaient été  utilisées sous couvert de la colonisation et, par conséquent, dans un contexte particulier. L’esclavage aboli avait  fait des habitants des anciennes colonies des citoyens mais cependant au Code Noir avait  succédé le Code de l’indigénat. Ce dernier code  déterminait  les conditions de vie de la grande partie de l’Afrique francophone. Les indigènes étaient  des sujets et non des citoyens français.  Depuis le décret d’abolition seuls les originaires des vieilles colonies (Guadeloupe, Martinique, Guyane, Réunion) et les habitants des quatre communes du Sénégal (Dakar, Rufisque, Saint Louis et Gorée) étaient  des citoyens français sans pour autant  bénéficier d’une totale égalité par rapport à leurs concitoyens métropolitains.

 Dans le salon, je voulais me faire tout petit  pour  ne pas  le déranger.  J’imaginais qu’il  vivait une  forme de somnambulisme. Il déplaçait des objets, se  couchait à même le sol, il reproduisait des dialogues entre soldats. Je commençais moi-même à avoir peur de l’ennemi. Je transpirais.  Je me demandais  ce  que les soldats d’Hitler avaient pu faire à ces hommes là qu’ils redoutaient. Ils avaient résisté vaillamment  ces fameux tirailleurs sénégalais. La dignité et la liberté, nous, nos parents, nous y avons  beaucoup contribué, alors s’il vous plaît Monsieur le Directeur, vous refusez  au fils d’un fantassin gazé  un bureau parce qu’il n’a pas la peau  que vous souhaitez  et que ce fils de nègre parle trop de langues. Bien dommage qu’il n’y  ait pas un tribunal international pour ce genre  de délinquance dans les entreprises ! Imbécile ! Clémenceau a été dithyrambique  sur ce que  nos parents ont fait pour sauvegarder la  dignité bien perdue de votre grand-mère, ce qui vous permet aujourd’hui de voyager en première classe  avec l’argent de l’Etat et d’inviter  les belles créoles en leur promettant un travail . Tiens, j’avais effectué des recherches.  Jean Moulin  s’est fait torturé  parce qu’il a refusé de dénoncer  les soldats noirs. Vous, vous êtes récompensé pour mépriser leur progéniture. Cela n’est pas acceptable.



Dans cet appartement, j’avais mal au ventre d’écouter la douleur de  ce vieux soldat qui avait l’âge de mon père, si ce dernier avait survécu aux dégâts collatéraux  cette sale guerre  mais aussi  à cause d’une diarrhée. Bien sûr, j’ai avalé des comprimés avec un effet bouchon mais j’avais besoin d’un tire-bouchon. Cela allait faire du bruit. J’oubliais aussi la chasse d’eau et ses applaudissements. Mamadou avait choisi de vivre pour témoigner comme mon père. Ce dernier avait la poitrine qui raisonnait   comme des percussions atteintes de quinte de toux. Je me tordais dans le salon. Vous aussi quand vous allez me lire ,  je veux vous donner une indigestion :


« Dans ses carnets et dans son livre « Premier Combat » Jean Moulin raconte « la monstrueuse machination » des Allemands visant à attribuer aux tirailleurs sénégalais le massacre de civils.  Après le désastre des Ardennes et des Flandres, la 8ème divisions d’Infanterie Coloniale composée du RICM et du 26ème Régiment est dirigée de toute urgence vers l’Est de Paris. Du 12 au 16 juin 1940, les batailles sont violentes entre Dreux (Eure) et Chartres (Eure-et-Loir) et dans le triangle formé par Châteauneuf-en-Thymerais, Maintenon et Saint Germain en Gâtine. L’offensive allemande est meurtrière. Les deux valeureux régiments sont décimés. Le 26ème Régiment des tirailleurs sénégalais n’a plus que cinq cents hommes mais il est en ordre de marche. Les Allemands sont en colère contre ses « nègres » qui résistent. Alors ils les maltraitent et abattent sans pitié ceux qui sont faits prisonniers. Jean Moulin est torturé parce qu’il refuse de signer un protocole les accusant des pires atrocités.

 Le maréchal Hindenburg dit de son côté en parlant de la bataille de Reims du 5 juin 1918 : « … Quand les ennemis n’avaient pas de chars d’assaut à leur disposition, ils lançaient contre nous des vagues noires ; ces vagues de troupes pénétraient dans nos lignes… ces noirs ont été conduits par milliers à l’abattoir ».


Je suis le porte-parole de ceux  qui n’ont pas eu le temps de parler. Je quittai discrètement  l’appartement de Mamadou  qui n’a jamais su ce que j’ai entendu. Je suis fier d’avoir le sang de ces gens-là qui coule dans mes veines.





(Alex J. URI)
16 août 2012















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